Pour la mezzo-soprano réunionaise, ALICE FERRIERE, le lied est un sommet de l’expression romantique allemande, d’autant mieux cristallisée ici dans l’accord complice tissé entre 3 êtres exceptionnels qui ont constitué une « famille musicale » unique à ce jour : les époux Robert et Clara Schumann et leur cadet et « protégé », Johannes Brahms. Ayant reçu les conseils de Thomas Quastoff ou Birgit Fassbaender, mais aussi d’Anna-Maria Panzarella…, Alice Ferrière affirme aujourd’hui sa maîtrise de la langue germanique, soucieuse du texte autant que des mille images et nuances musicales ciselées pour chaque lied ; chaque séquence est une prière, une exhortation pour que se prolonge toujours la force et l’intensité de l’évocation et souvent du souvenir.
Dès les deux premiers lieder de Robert (« Widmund « , « Die Lotosblume » , respectivement de Rückert et Heine), la cantatrice déploie une intensité nuancée toujours très proche du texte, capable de somptueuses couleurs et d’une excellente précision linguistique en particulier dans le second. Le désir est moteur chez Robert : chacun des lieder exprime la force du sentiment, à la fois inextinguible et impérieux, d’un éclat irrésistible, en lien évident avec l’histoire même de Robert et Clara, victorieux, malgré l’opposition redoutable du père de la jeune femme.
Dialoguant avec les lieder amoureux, enivrés de Robert et de Johannes, les poèmes de Clara imposent ici une sensibilité hors du commun, en particulier à travers les 6 pièces de l’Opus 13 que la cantatrice a chantées en concert avant de les enregistrer ici.
La mezzo transmet le même climat d’extase accomplie dans ce cycle méconnu (premier lied « Ich stand in dunken Träumen » de Heine) maîtrisant et la clarté de la projection, et de somptueux phrasés, suggestifs, qui cisèlent chaque nuance d’un verbe idéalement articulé (langueur suspendue entre prière et déploration de « Sie liebten sich beide »). D’ailleurs les 3 poèmes d’Emanuel Geibel que Clara met en musique, révèlent cet épanchement particulier, tendre, enivré, prêt à l’abandon… soit l’hypersensibilité d’une femme amoureuse (qui a tant aimé Robert / sa correspondance en fait foi).
Les mêmes qualités d’intensité égale, d’émission claire, d’attention à chaque image du texte s’accomplissent encore chez Brahms dont le sentiment du repli et de la profonde solitude, se réalise comme des absolus émotionnels (« Der Tod, das ist die Kühlenacht » opus 96 d’après 96 d’après Heine), sans omettre l’état d’extase littérale, à la fois enivré, éperdu si manifeste dans « Gestillte Sehnsucht opus 91 » de Heine avec alto (Pierre-Henri Xuereb).
Comme blessée mais lumineuse, intense et toujours sobre, parfaitement articulée et précise, la voix d’Alice Ferrière sait incarner l’éclat de la tendresse (superbe « Wie melodien zieht es mir leise opus 105 (d’après Klaus Groth) ; l’inquiétude voire l’hallucination du redoutable et très dramatique « Von ewiger liebe » opus 43 (d’après AHH von Fallersleben); le souffle, le désir, parfois l’impatience voire l’urgence des textes d’après Heine ou Rückert. « Nous avons pris le temps pour chaque lied de (…), trouver des couleurs communes pour peindre chaque pièce comme un tableau », précise l’interprète, en complicité avec le pianiste Nicolas Royez dont le jeu est tout en nuances et suggestivité… de fait, picturale (climat d’extase accomplie dans l’ineffable « Immer leiser wird mein schlummer » d’après Hermann Lingg).
Le résultat à l’écoute s’avère de ce point de vue éloquent et totalement convaincant. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023.
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CD événement, critique. CLARA NOTRE ÉTOILE– lieders Robert et Clara Schumann (Opus 13), de Brahms – Alice Ferrière, mezzo-soprano / Nicolas Royez, piano- Enregistré en avril 2022 – 1 cd Cascavelle – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023.
LIRE aussi notre ANONCE précritique du CD CLARA notre étoile par Alice derrière (1 cd Cascavelle) : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-clara-notre-etoile-lieders-robert-et-clara-schumann-brahms-alice-ferriere-mezzo-soprano-1-cd-cascavelle/