Compte rendu, festivals. SAINTES, le 15 juillet 2017. Deux premiers concerts à l’Abbaye aux Dames : Vox Luminis / JOA, Philippe Herreweghe, direction. Le festival de Saintes montre à nouveau cette année son ouverture vers tous les répertoires : foyer essentiel de l’interprétation baroque certes où brille Bach principalement (ce depuis des lustres) mais aussi comme conquête pas moins passionnante vers les grands Romantiques et dans toutes les formes : en cette journée typique, comptant 4 concerts importants (samedi 15 juillet, à 12h30, 16h30, 19h30 puis 22h, tous dans l’église abbatiale), les festivaliers peuvent écouter Tchaikovski (celui chorégraphique le plus célèbre comme l’immense symphoniste), et en fin de journée, à la nuit tombée, un attachant concert de musique de chambre combinant Haydn Beethoven, Mendelssohn (par le jeune Quatuor Arod).
A la recherche du son le plus investi et le plus juste, soucieux de servir les manuscrits les plus authentiques, dans une interprétation historiquement informée, le festival de Saintes se réinvente chaque année, tout en élargissant les voies du défrichement et ne sacrifiant rien à la probité du geste musical.
Ce dernier passe surtout par la maîtrise des instruments d’époque dont aujourd’hui les jeunes instrumentes du JOA JEUNE ORCHESTRE DE L’ABBAYE constituent le fleuron actuel : rien n’égale la subtile caractérisation des timbres produits par les instruments anciens… Le concert de 16h30 en atteste définitivement (lire ci après).
Deux premiers concerts à l’Abbaye aux Dames :
diseurs sacrés, jubilation instrumentale
(Vox Luminis et le JOA / Philippe Herreweghe)
12h30 : Concert « La Dynastie Bach, 100 ans de motets ». Le premier concert à permis de mesurer une autre finesse partagée nourrie à l’échelle du collectif, celle des chanteurs de Vox Luminis qui, fidèles au lieu qui les aura révélés, accompagnés, stimulés, proposent aux festivaliers fidèles partisans, et présents dès leur premiers concert saintais, un programme fervent et doloriste réunissant les ancêtres de Jean-Sébastien Bach ; motets introspectif où le croyant s’adressant à Jésus semble mesurer l’étendue de sa solitude, de son errance face à la mort. Les chanteurs véritables diseurs en ce qu’ils savent colorer chaque phrase, chaque mot, par une intention juste, réalisent une véritable communion individuelle, un théâtre sensible qui captive par d’infinies nuances dans le sentiment déploration, d’exhortation, de compassion, de terrifiante ou sereine voire joyeuse sérénité. Le génie de Bach a pu naître grâce aussi à cette filiation familiale qui restitue dans son propre cheminement musical, le poids, le modèle, la voie tracée avant lui par ces augustes prédécesseurs.
Déjà enregistré mais avec l’intégration de pièces de Bach lui-même, le programme ne réunit ici que ses aînés :Hohann et Johann Michael sans omettre Johann Christoph pour le XVIIè ; Johann Ludwig , à la charnière des XVIIè et XVIIIè.
S’y précise et s’affirme une esthétique de la prière et de l’imploration de plus en plus souple et théâtralisée, du piétisme allégorique au sentimentalisme le plus ciselé. C’est aussi pour les partenaires de Lionel Meunier, baryton et leader du groupe, la preuve d’une continuité dans l’excellence, une manière de dire aux spectateurs et à ceux qui les suivent depuis leurs débuts : non, nous n’avons pas perdu la première maîtrise qui fut la nôtre au service du verbe, soucieux de la poétique incarnée du texte dont chaque mot, chaque virgule et évidemment chaque silence, compte.
Aujourd’hui Vox Luminis est bien l’un des rares à réussir ce répertoire avec autant de sobriété et de sincérité, d’intime cohésion, d’impact linguistique. Classiquenews a souligné la maturité lumineuse voire éblouissante de l’ensemble belge lors de la parution de son dernier cd, dédié à JS BACH, « Actus tragicus », auquel la Rédaction a décerné le convoité CLIC de classiquenews (novembre 2016).
A 16h30, même lieu mais programme différent en un grand écart chronologique qui déplace le curseur musical jusqu’à… Tchaikovski. Surprenant et captivante immersion dans le raffinement orchestral le plus suave et coloré qui soit ; d’abord : Suite de Casse Noisette. La réalisation accrédite encore l’engagement de la Cité musicale en faveur des instruments historique. Sous la direction de Philippe Herreweghe qui en a conçu et amorcé les premières manifestations, le travail s’avère aussi éloquent, riche que juste. L’approche permet une relecture des oeuvres qui s’apparente à une redécouverte de chacune. Elle engendre une sonorité et un nuancier instrumental inoubliables pour qui s’en rend perceptif : elle suppose aussi une nouvelle écoute dont les festivaliers se montrent de plus en plus friands.
Voilà qui explique le formidable succès du JOA, – Jeune Orchestre de l’Abbaye, phalange emblématique de la Cité musicale à Saintes, foyer de recherche, de pratique expérimentale… La Suite est une jubilation continue de saveurs instrumentales et de timbres précisément énoncés, dans des jeux d’équilibres réjouissants ; leur vitalité renforce l’irrésistible invention du Tchaikovsky chorégraphe (Danse des Mirlitons, sans omettre la sublime Valse des fleurs, enivrée, aérienne, échevelée, qui clôt le cycle).
VERTUS DES INSTRUMENTS D’EPOQUE
Par « Petite Russie », le jeune Tchaikovski, récent symphoniste, désigne l’Ukraine. Conçue dès l’été 1872, la Symphonie n°2 touche autant par sa construction serrée, son déroulé contrasté que son orchestration aussi raffinée que mordante. Un terreau idéal pour les talents multiples du JOA. Le compositeur trentenaire passe alors un séjour chez ses cousins Devydov, propriétaires d’un vaste domaine en Ukraine.
Même s’il demeure très proche de l’esprit populaire, en cela très inspiré par les motifs du folklore russe, Tchaikovski raffine l’écriture par un sentiment de noblesse et un souffle déjà sombre et grave dès le sublime solo de cor qui ouvre le portique orchestral. Rapidement emporté (Allegro qui suit immédiatement dans le premier mouvement) par un sentiment d’une irrépressible volonté, le déroulement affirme ici une énergie et une frénésie même (véritable fureur des cordes), plus rare dans les Symphonies suivantes.
Le second épisode, – Andantino marziale, est un schéma utilisé par la suite qui contraste par sa marche fédératrice ; l’écriture semble par son rythme maîtrisé, reconstruire l’équilibre psychique précédemment survolté. La raison s’organise et la sérénité recouvrée s’achève dans le murmure et le mystère.
Tout Tchaikovski est là, dans cette versatilité constante, cette pulsation qui déroule une prodigieuse langue à la fois éperdue et tragique, tendre et révoltée. L’écriture et l’orchestration sont somptueuses, permettant à l’orchestre de démontrer non pas tant sa haute technicité, – de cela, le JOA incarne à présent un standard plutôt élevé, que la justesse des intonations : tout ici brûle d’une lave musicale frémissante et palpitante que les timbres si fins et si subtilement caractérisés des instruments historiques, colorent d’une singulière et mémorable façon. Les bois sont ronds et pétulants ; les cuivres, d’une majesté ensorcelante ; les cordes, trépidantes, bondissantes, nerveuses, précises, gorgées d’amertume comme d’espérance intacte.
Le souci d’articulation, la volonté du sens surtout affirment le geste de Philippe Herrewghe dont classiquenews a loué précédemment son sublime cd dédié à Brahms (avec l’Orchestre des Champs-Elysées : Symphonie n°4), à la fois dramatique, profond, formidablement détaillé sur le plan instrumental (CLIC de CLASSIQUENEWS de juin 2017 : lire notre critique complète ici).
On retiendra aussi dans le 3è mouvement (Finale – Moderato assai – Allegro vivo) l’imbrication très subtile des cuivres, d’une inflexible et constante véhémence (expression du fatum de plus en plus prenant), avec le chant plus insouciant des cordes, inspiré par un matériau populaire de « petite Russie ». Trouble et inquiet jusqu’à l’ivresse, le jeune Tchaikovski Symphoniste ne finit pas de fasciner par sa profonde compréhension des ressorts cachés, contradictoires pourtant exaltants de la psyché.
C’est à Saintes, lors de ses sessions symphoniques sous la voûte abbatiale que l’on peut mesurer l’apport des instruments historiques et la pratique instrumentale que les jeunes interprètes apprennent ici. On espère demain pouvoir réécouter encore une tel accomplissement au disque ; certes formation « éphémère » puisque chaque session du JOA se recompose à chaque saison de nouveaux jeunes instrumentistes, l’Orchestre mérite absolument d’être gratifié par un disque, et ses avancées « validées » par un enregistrement. Fondé il y a 20 ans, depuis une décennie, à force d’assiduité et de ténacité sur la durée, le JOA démontre une maestrià enivrante qui s’affirme telle l’un des apports les plus importants du monde de l’interprétation musicale actuelle. On s’étonne même que les orchestres dits « modernes » ne s’intéressent pas davantage à cette révolution du milieu symphonique et orchestral en France. Aujourd’hui, le profil d’un musicien d’orchestre, se doit d’être polyvalent, sachant et jouer sur instrument moderne et sur instrument d’époque. Demain, les orchestres importants s’appuieront sur un noyau constitué d’interprètes doublement talentueux. La richesse de l’offre musicale en dépend, comme la culture et la sensibilité de l’interprète, …comme la satisfaction du spectateur dont la curiosité et les attentes ne cessent de se confirmer. Avec la dextérité à 360 degrés des jeunes instrumentistes se joue aussi le renouvellement des publics : car l’appétence des jeunes mélomanes se forment aussi pour ce goût émergeant des sonorités historiques. A suivre.
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Au soir du même jour, nous avons assisté aux concerts Tartini / JS Bach par les Ambassadeurs / Alexis Kossenko (19h30), puis le soir (à 22h) propice à cet ouverture vers des répertoires plus récents, vers les grand Romantiques, ainsi à 22h sous la même voûte, le récital du très jeune Quatuor français « Arod », dont c’était le premier concert à Saintes dans un programme Haydn, Beethoven, Mendelssohn… Comptes rendus à venir.