COMPTE-RENDU, festival. HARDELOT (Pas-de-Calais), 10è festival Midsummer. Les 27, 28 et 29 juin 2019. Orlinski, Vivaldi, Ens. Correspondances. 3 soirs à Hardelot. Surgissant tel un bosquet parmi les herbes fertiles des prés qui entourent le château d’Hardelot, le Théâtre éponyme semble respirer le même air que les frondaisons et s’élève vers le soleil de juin avec la même force originelle. Hardelot c’est le bois, le vert, le bleu d’azur et des lacs assoupis; Hardelot c’est la pierre argentée du château romantique et des bastions anciens des comtes de Boulogne. Hardelot c’est un tout, un élément total, l’épithalame des sens.
Tout a surgi d’un songe, tel celui féerique de Shakespeare. De la fosse à la terrasse et des pilastres au plancher, tous les bois le composent, ouvrant sa scène telle une clairière fabuleuse.
Pour le dernier week-end du dixième Festival Midsummer au cœur de l’entente cordiale, le directeur artistique Sébastien Mahieuxe a proposé un voyage aux mille couleurs du prisme.
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Jeudi 27 Juin 2019 – 20h30
Théâtre d’Hardelot
Anima Sacra
Airs sacrés et d’oratorios de Heinichen, Hasse, Zelenka, Fago.
Jakub Jozef Orliński – contretenor
Il Pomo d’Oro
Premier violon – Zefira Valova
Francesco Corti, direction
Âme errante
Si la floraison de jeunes talents dans notre monde musical est une merveilleuse chose, le talent reste une affaire relativement galvaudée. Hélas, alors que nous vivons dans une ère d’image qui pollue la politique, les médias, et n’importe quel interstice du quotidien, la musique de patrimoine ne semble pas échapper à un tel phénomène. Doit-on enchérir avec le sempiternel adage blasé et nostalgique du « c’était mieux avant … » ? – la réponse est double. Échapper à la surexposition de l’image est impossible pour tout artiste qui souhaite s’imposer dans le marché de la musique d’aujourd’hui, or si l’image pousse des artistes de plus en plus jeunes dans l’océan musical infesté de requins et autres murènes, il demeure compliqué de maintenir le cap vers le bon port.
Le phénomène des contre-ténors n’est pas nouveau. Depuis Alfred Deller et son « look » Old England très classe à la nouvelle coqueluche des amoureux des nouveaux Primi Uomini, le jeune Polonais Jakub Jozef Orliński… Ce talentueux soliste de 29 ans, tout droit sorti de Juilliard, a fait exploser les réseaux sociaux avec son interprétation du « Vedro con mio diletto » issu du Giustino de Vivaldi. De plus il fascine par son charisme et sa passion pour le breakdance et autres chorégraphies urbaines. Mr Orliński est le produit qu’attendait le baroque depuis des années, il fait le même buzz qu’a fait Ivo Pogolerić dans le monde du piano avec ses converse.
Depuis Hélène de Troie, la beauté nous fascine, si en plus elle est moderne à outrance alors c’est le comble du bonheur. Mais est ce que qu’on parle des divers hobbies des solistes et chefs d’hier et d’aujourd’hui ? Sommes-nous victimes des très habiles marketeurs des labels ? L’artiste lui même n’est il pas en danger de succomber à son image, qui, tel la mare funeste pour Narcisse, le dévorera tout entier ?
Le récital Anima Sacra de Mr Orliński est riche en redécouvertes. On y trouve enfin ces musiques souvent oubliées de Heinichen, Hasse et le fabuleux Nicola Fago ! Or, si les pièces sont d’une incroyable beauté, interprétées avec brio et talent par le contre-ténor, il n’en demeure pas moins qu’elles se ressemblent. Ce programme peine à garder une ligne dramaturgique et même liturgique. Il est monochrome à part un air. Dommage pour les compositeurs et pour les œuvres.
Il Pomo d’Oro nous a habitué à des envolées fougueuses que ce soit avec Riccardo Minasi ou avec Maxim Emelyachev. Hélas, ce soir, Francesco Corti, avec une battue sans énergie n’arrive pas à insuffler allant, feu et fièvre aux morceaux sélectionnés. Heureusement que le premier violon, la fabuleuse Zefira Valova nous entraîne dans toutes les nuances des partitions et notamment dans la symphonie de Zelenka !
Mr Orliński minaude tout autant que Mme Bartoli et se contrit des mêmes gestes sans différencier les émotions dans les évocations sacrées. On dirait qu’il n’a cure de transmettre ce que dit le texte, malgré sa nature sacrée. Vocalement, si l’extrait de l’oratorio Sanctus Petrus et Sancta Maria Magdalena « Mea tormenta properate! » est interprété parfaitement, le reste du programme fait état de limites étonnantes pour une si jeune voix. Un vibrato persistant parasite les aigus et les graves, le médium est fragile voire parfois inexistant. Mais le public a reçu ce jeune talent avec une chaleureuse ovation qui a débouché sur trois bis.
Finalement pour ce soir, l’esprit d’Oberon et sa voix de contre-ténor étaient partis chasser les esprits de la nuit ailleurs.
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Vendredi 28 juin 2019 – 20h30
Théâtre d’Hardelot
Les voix des éléments
Les Quatre Saisons
Les Musiciens de Saint-Julien
Direction, flûtes, musette – François Lazarevitch
Pour la deuxième soirée dans l’univers magique d’Hardelot, c’est le vent qui vient caresser les près et la cime des arbres avec ses mains effilées. Et ce soir c’est la musique des vents qui allait envahir le beau Théâtre d’Hardelot.
Alors que notre terre subit un changement certain du climat, ni le premier, ni certainement pas le dernier, nous regrettons ces saisons qui firent neiger en hiver, dorer les peaux en été et fleurir les champs au mois de mai. La carte postale de cette nature évanouie a été fixée par Antonio Vivaldi dans ses concerti inoubliables qui sont devenus la base de sa renommée.
François Lazarevitch, défricheur infatigable, nous offre des Quatre saisons étonnantes dans une version pour divers instruments à vent, dont des flûtes évidemment et plus curieusement la version transposée du célèbre Printemps de Nicolas de Chédeville pour musette. Cette version étonne déjà par l’utilisation de cet instrument très présent dans la musique Française, surtout pour évoquer les pâtres.
Soutenu en force par des musiciens aguerris, François Lazarevitch s’engage dans l’interprétation fascinante de ces pièces que nous croyons connaître par cœur pour nous apporter des nuances nouvelles. On s’étonne aussi par la construction du programme, où les saisons subissent le même changement que notre planète, une réelle prise de conscience musicale.
Nous sortons du concert des Musiciens de Saint-Julien avec la satisfaction d’avoir redécouvert un chef d’œuvre avec des interprètes d’une énergie et d’une modestie revigorantes.
La nuit s’abattit lentement sur Hardelot et les parfums de ses mille nuances d’émeraude nous apportent la promesse d’une nouvelle journée aux accents nouveaux et enthousiasmants.
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Samedi 29 Juin 2019 – 20h30
Théâtre d’Hardelot
Matthew Locke (1621 – 1677)
Psyche (Londres – 1675)
Semi-opéra
L’âme et l’esprit
Matthew Locke est un des premiers compositeurs anglais à avoir mis en musique des œuvres pour la scène. Sa vie a traversé la période la plus troublée de l’histoire britannique, notamment pour les arts et la musique en particulier. En effet entre 1648 et 1660 lors de la période du « Protectorat » de Cromwell, le puritanisme à outrance a barricadé l’Angleterre de toute forme d’expression scénique et profane alors qu’en Europe continentale, la création musicale explosait littéralement. A l’arrivée de Charles II (1660 – 1685), toute l’énergie créatrice bridée a débordé dans une véritable renaissance de la musique Anglaise grâce aux compositeurs tels Purcell, Locke, et italiens tels que Draghi.
Méconnue depuis l’enregistrement introuvable de Philip Pickett chez Oiseau Lyre, la Psyche de Matthew Locke s’inspire directement des tragédies en musique Outre-Manche et plus particulièrement de celles de Lully / Molière. Contrairement à l’enregistrement de Pickett, Sébastien Daucé abandonne ici la musique de Draghi pour ne faire que du Locke. L’œuvre finalement gagne en cohérence même si elle perd en authenticité vu que les musiques de Draghi et Locke cohabitaient lors de la création vraisemblablement. Cette version aussi ajoute deux extraits de la Psyché de Lully, l’ouverture et la scène des affligés, ce qui offre de très belles nuances. Saluons le travail incomparable d’édition de cet insigne chef chercheur qu’est Sébastien Daucé !
Sébastien Daucé, pour sa première incursion dans l’opéra Anglais de la Restauration, ouvre des perspectives brillantes et d’une rare beauté. On a plaisir à dévorer cette partition grâce à l’élégance et la générosité de sa direction, d’une précision parfaite. Il mène ses musiciens et le public dans un voyage aux confins d’un style nouveau. Nous sommes saisis d’émotion avec les airs et les chœurs, tout est construit avec harmonie. Sébastien Daucé est plus qu’un chef, il est un véritable architecte des sens ; il partage, il innove, il révèle et sublime toute la musique qu’il touche.
Autour de lui ses musiciens sont réactifs et apportent à la partition une infinité de nuances. On devine l’intrigue malgré l’absence du texte parlé. Les cordes sont richement parées par les gestes énergiques des musiciens et les vents évoquent les voix amoureuses des sous-bois et la fanfare tonitruante de la suite des dieux.
Les solistes à la fois dans le choeur et dans les airs impriment une interprétation mémorable. La douceur du timbre généreux de Caroline Weynants qui souligne la fureur des Erynnies et la fragilité des nymphes nous font frémir autant que l’air inoubliable « Apritemi il varco a la morte » du Diluvio de Falvetti qu’elle a chanté. Déborah Cachet et Élodie Fonnard sont des divinités à la voix brillante et égale. En femmes affligées, elles nous brisent le cœur tellement elles transmettent la désolation.
En prêtresse, Lucile Richardot est impériale, on ne se lasse pas de ce grave velouté de ces aigus puissants ni de son incarnation incomparable. Nouveau venu dans Correspondances, le contrétenor William Shelton est généreux et précis, au timbre d’or digne du fier Apollo qu’il incarne.
Le ténor David Tricou à la très belle prestance, nous offre une interprétation toute en couleurs avec sa voix brillante et à l’aigu ciselé, un talent à suivre absolument.
Dans un des plus beaux airs de cette Psyche, “Behold the god”, Marc Mauillon est un Mars vaillant et sublime avec cette voix incomparable.
L’intégralité des voix a réussi le pari de la résurrection de Psyche. Avec de tels talents, on ne pouvait s’attendre qu’à la réussite de cette recréation mondiale. C’est avec de tels artistes que le Parnasse peut refleurir, sans les chichis de la communication à outrance et avec l’élégance de la modestie des grands interprètes.
A la fin de cette fable mythologique, on sort au cœur du château d’Hardelot, entre la pierre et les hautes herbes parsemées de coquelicots, on y croit deviner l’envol soudain d’une créature féerique tandis qu’au dessus de nos têtes, brille un ciel transparent éclaboussé de milliers d’étoiles.
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LOCKE : Psyche / Ensemble Correspondances.
Dessus
Déborah Cachet
Élodie Fonnard
Caroline Weynants
Perrine Devillers
Altos
Lucile Richardot
William Shelton
David Tricou
Tailles
Marc Mauillon
Randol Rodriguez
Antonin Rondepierre
Basses
Étienne Bazola
Renaud Bres
Nicolas Brooymans
Ensemble Correspondances
Direction et orgue : Sébastien Daucé