MUSIQUE EN CONTINU. Saint-Merri est une des plus vénérables églises de Paris, moult fois remaniée et avec des ajouts éclectiques, ce temple de l’art est le siège de concerts reguliers. Surplombant de ses gargouilles et ses mystères, le haut clocher de Saint-Merry abrite la plus ancienne cloche de Paris. Fondue en 1331, elle tonna pendant la Guerre de Cent Ans et poursuit son carillon évangélique sur les toîts haussmaniens, au cœur du Beaubourg de l’avant-garde plastique.
C’est au sein de cette église que depuis plus de quarante ans l’association l’Accueil Musical Saint-Merri permet à des multiples propositions artistiques de s’y produire au cœur de Paris. Cette soirée est consacrée à l’excellent Ensemble Sillages avec un programme axé sur une découverte passionnante de trois compositeurs aux univers complémentaires: Jean-Luc Hervé, Javier Torres Maldonado et Karlheinz Stockhausen.
Le format itinérant du concert commence par les mystérieuses volutes des Horizons Inclinés de Jean-Luc Hervé dans le chœur de l’Eglise. Cette pièce pour violon solo, magnifiquement interprétée par Lyonel Schmit, érige des colonnes harmoniques qui se diluent dans les inclinations spectrales magnifiées par un dispositif acousmatique au langage éloquent. Au même moment que le soleil se couchait sur les couleurs détrempées des vitraux anciens, les horizons de Jean-Luc Hervé déclinaient leurs courbes à l’infini.
Philippe Aari-Blanchette, défricheur de mondes à découvrir

Après un léger changement d’espace, place à la création Française du Cuarteto para cuerdas n°2 du compositeur Mexicain, Javier Torres Maldonado. éminemment interprété par les solistes de l’ensemble Sillages, ce quatuor à cordes est un exemple type d’un langage nouveau et passionnant dans l’écriture de la musique contemporaine. Magnifiant le lyrisme et abandonnant la sempiternelle glose du spectral, l’ancrage mélodique de chaque mouvement est un plaisir florissant de trouvailles et de surprises que l’on se plaît à découvrir. Sans tomber dans la fatuité sans fard des quatuors à rallonge de Dusapin, Javier Torres Maldonado déploie une palette riche et précise à la fois, il développe en maître du genre des respirations qui ouvrent ses phrases et nourrissent l’interprétation. Avec une vision plus organique et sensible, Javier Torres Maldonado reprend le flambeau de Haydn et Brahms dans la conception du quatuor à cordes et ouvre une nouvelle voie pour ce genre.
En clôture de ce fabuleux programme, nous avons vibré avec la splendide performance de la Microphonie de Stockhausen. Œuvre inclassable et inconoclaste, cette pièce pour solistes chevronés est un écueil pour les interprètes à cause de la complexité et la méticulosité de ses paramètres. Surgie de l’esprit de Stockhausen alors qu’il recherchait des nouvelles formes musicales dans les objets du quotidien, elle illustrerait bien un certain « parti pris des choses » dont Francis Ponge s’est fait le chantre. En invoquant son langage complexe et révélant les merveilleuses facettes de chaque mouvement, les solistes de Sillages accomplissent un véritable exploit en rendant à la Microphonie les plus fines nuances de sa construction, tels des architectes ils cisèlent les sons, modèlent chaque objet qui abandonne l’utile pour devenir un élément artistique.
Encore une fois, l’ensemble des solistes qui composent Sillages réussit à transmettre et rendre sensible la musique d’aujourd’hui, le lien avec le public ne se fend pas une seule seconde. L’éveil musical vers les langages musicaux de notre temps a trouvé dans Sillages, le passeur le plus accompli et, grâce à Philippe Arrii-Blanchette, le défricheur d’un monde à découvrir.
Compte rendu, concert. Paris, Saint-Merri, le 15 avril 2016. VIBRATIONS, ensemble Sillages. Hervé, Maldonado, Stockhausen… Philippe Arrii-Blanchette
Jean-Luc Hervé
Horizons inclinés (création Française 2016) pour violon et dispositif acousmatique
Javier Torres Maldonado
Quatuor à cordes n°2 (création Française 2016)
Karlheinz Stockhausen
Microphonie (1964)
Ensemble Sillages
Direction artistique : Philippe Arrii-Blanchette