Contradiction, création, interrogation… Clairvaux fait son festival depuis 8 ans; un événement désormais inscrit dans la pierre de l’Abbaye cistercienne et qui colore la froide minéralité du site d’un supplément d’âme humaine ; peu de lieux aussi marqués par une programmation autant engagée. Ici, la parole des détenus de longue peine devient chant voire prière ; expression toujours pudiquement diffusée où la question du temps de l’enfermement et de la privation totale de liberté pèsent de tout leur poids.
Grâce à la volonté de sa directrice artistique, Anne-Marie Sallé, qui assure et cultive le lien avec les prisonniers invités à participer à des ateliers d’écriture, le site qui fut monastère (fondé en 1125 par Bernard de Clairvaux) et qui est aujourd’hui prison (selon la volonté de Napoléon en 1808), propose un autre regard sur les captifs. Ont-ils droit à cette seconde chance? Devons-nous au nom d’une éthique qui cherche toujours sa tribune (politique et publique) défendre coûte que coûte leur part d’humanité? Quelle vision juste sommes-nous dans l’obligation morale de défendre face aux prisonniers quelle que soit le motif de leur peine ?
A quelques pas de la Centrale et sous très haute surveillance, se déroulent les concerts dans les lieux historiques qui attendaient une nouvelle destination (un nouveau plan de restauration est d’ailleurs en cours de réalisation (il concerne actuellement le bâtiment des convers); à terme, il s’agit de réhabiliter ce qui reste de l’ancienne Abbaye… un patrimoine qui a souffert par abandon mais qui a gagné récemment une réestimation laissant présager une nouvelle destination en particulier culturelle et artistique.
Le festival créé par Anne-Marie Sallé a d’autant plus de légitimité dans les lieux que sa problématique artistique dialogue de façon permanente avec le thème de l’isolement, cultivant ce lien ténu mais cohérent avec l’histoire religieuse de Clairvaux et depuis l’époque napoléonienne, son identité carcérale.
Pendant le festival, les spectateurs traversent cours et corridors ordinairement fermés à la visite. La réclusion s’écrit toujours sous les voutes centenaires: aux moines des temps anciens se sont succédés les détenus de la centrale. En 2011, pas moins de 6 concerts réaniment par un temps rehumanisé, le vide et le froid silence des lieux. D’anciennes idoles qui ont déserté les salles traditionnelles des concerts, y retrouvent la complicité de partenaires musiciens ou acteur: c’est le cas du concert défendu par les chambristes, François-René Duchable (piano), de Régis Pasquier (violon) entre autres: concert Le Tango dans tous ses états… ; puis le même François-René Duchâble s’associe au comédien Alain Carré dont la voix affutée incisive mord les mots d’un texte désigné pour être dit à Clairvaux : les pierres sauvages (adaptation du roman de Fernand Pouillon), évocation si bouleversante de l’édification d’une abbaye cistercienne (en l’occurrence celle du Thoronet)… Le récit, ponctué d’oeuvres jouées au piano (Bach, Liszt, Debussy, Franck, Chopin…) a été conçu pour le festival de Clairvaux 2011.
Pierres critiques…
Toute la singularité et la pertinence du festival tiennent à ce contexte particulier où la musique jusqu’à l’articulation des textes qu’elle transforme et réanime pour les offrir au public, s’éclaire d’une signification nouvelle dans des lieux non familiers à la musique. Compléments essentiels à l’offre musicale, débats et rencontres libèrent les questionnements, affinent encore les enjeux mêlés d’un sujet brûlant et polémique: la voix des festivaliers y retentit souvent passionnée; que pèse au juste le devenir d’un condamné à mort face à l’impardonnable commis et à la souffrance indicible des victimes et de leurs familles? Qu’ont-ils à nous apprendre ces hommes privés de liberté? Plus terre à terre mais non moins éclairant une autre question fuse: comment sont choisis les prisonniers participant aux ateliers d’écriture?
Voilà quelques interventions vives, collectées lors des rencontres de cette année; Anne-Marie Sallé a réussi le défi de Clairvaux: y inscrire désormais un festival ouvert et critique dont la programmation entre ombres et lumières invite à une question cruciale: quel regard l’homme doit-il porter sur lui-même?
L’édition 2011 se concentre comme chaque année sur 3 jours (23, 24 et 25 septembre) ; elle est d’autant plus marquante qu’elle accueille le dernier travail de la résidence de Thierry Machuel, compositeur contemporain dont Classiquenews suit depuis longtemps le travail exemplaire sur le verbe vocal, à la fois geste et pensée.
Sur le thème des parloirs, l’œuvre en création profite des instrumentistes invités cette année: François-René Duchâble, Régis Pasquier entre autres, rejoints par Max Bonnay (accordéon et bandonéon); la partition engage aussi tous les chanteurs du jeune chœur Aedes dirigé par Mathieu Romano: la tentative de mise en scène reste anecdotique ; c’est surtout le livret qui recompose et associe plusieurs textes écrits par les détenus sollicités sur le thème 2011 (les parloirs) et qui inspire au final, le compositeur.
Thierry Machuel magnifie l’espérance et l’accablement d’êtres sans perspective pour certains, murés dans des existences privés de liberté. L’écriture est variée et respecte toujours la puissante incantation des mots; en particulier l’attente aiguë voire l’espérance que fait naître la perspective d’une visite au … Parloir. Le compositeur diversifie les formes et les ensembles: Choral du sans-ami (cyclique), interlude instrumental, Chaconne, fugue, monologue, dialogue amoureux…; mais c’est toujours une voix pleine et ardente, celle collective du chœur très mis en avant, qui s’affirme, avec une urgence de plus en plus intense.
Thierry Machuel renouvelle dans cet oratorio en création à Clairvaux, un long travail de composition concentré sur l’éloquence suggestive du texte. Il innove même une forme appelée à d’autres réalisations scéniques: « l’opéra choral ».
En 2012, Clairvaux accueille un nouveau compositeur : Philippe Hersant. Confronté aux thèmes de l’enfermement, aucun doute que le nouveau compositeur invité, vrai poète des climats introspectifs-, saura renouveler le projet de Clairvaux en lui insufflant une nouvelle conscience sonore et musicale.
Clairvaux. 8è festival de Clairvaux. Les 24 et 25 septembre 2011. Thierry Machuel: Les Parloirs, oratorio (création). Ensemble vocal Aedes, choeur. Mathieu Romano, direction. Max Bonnay, accordéon et bandonéon. Bernard Cazauran, contrebasse. François-René Duchâble, piano. Michel Michalakakos, alto. Régis Pasquier, violon.