dimanche 4 mai 2025

Chorégies d’Orange Orange, du 15 juillet au 7 août 2010

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Chorégies d’Orange
Tosca de Puccini ; Mireille de Gounod

Orange (84)
Du 15 juillet au 7 août 2010

La formule-Orange est immuable sous le haut Mur antique. Et très XIXe, comme il se doit, bien qu’une certaine Tosca ait été créée en 1900 : il faut honorer ses fastes dramaturgiques, et tâcher d’atteindre à sa dimension mythique. Mireille de Gounod, évidemment moins ambitieuse, est ici dans son cadre provençal, et on doit en retrouver au-delà du charme une donnée forte qui s’était parfois affadie. En concerts, des airs d’opéras italiens et du Tchaïkovski…

Son nom de vent-symbole dans Orange très peuplée

Orange, la Provence à l’état linguistiquement et culturellement pur ? Dites un titre. L’Arlésienne ? Certes, mais ce sont musiques de scène pour un mélodrame d’Alphonse Daudet. Un opéra ? Mireille ? Oui, et nécessairement sublime ? Les avis divergent sur l’œuvre, en tout cas très aimée des publics lyriques français. Et totalement ressourcée, puisqu’à l’origine de l’histoire se trouve l’irrécusable référence à la langue initiale par un ultra-Provençal au nom de vent-symbole, ce Frédéric Mistral (1830-1914), né à Maillane, fondateur du mouvement Félibrige, et qu’on aurait tort d’identifier à un régionalisme étroit : n’obtint-il pas en 1904 le Prix Nobel ? Le Provençal c’était lui, et certes pas le musicien, Charles Gounod, né à dans la capitale (1818) et mort à Saint-Cloud (1893), plus parisien que lui, tu meurs en impénitence provinciale. Cependant voyageur : Rome (à cause du Grand Prix), plus tard, l’Autriche, l’Allemagne, et sur le tard, l’Angleterre. Et voyageur en lui-même –âme et corps -, d’abord préparé à la vocation sacerdotale, puis marié, ce qui ne l’empêche pas de « courir d’autres jupons », sans oublier sa rencontre avec Pauline Viardot, admirable muse du XIXe européen, qui de toute façon avait fort à faire avec un amoureux venu du froid et perpétuellement transi, le romancier Ivan Tourgueniev. Quant aux partitions, beaucoup de musique religieuse et fort catholique-édifiante, mais aussi des embardées vers les célébrations de toutes les amours profanes, depuis une Sapho pas si chaste…

Une Provençale intrépide

Et puis, diront les plaisantins, il y a le mauvais tour joué post mortem par un humoriste belge avec une Bianca Castafiore, interprète inégalée qui de Syldavie en autres régions d’Europe (« elles vont être cruellement éprouvées ») répand son « Je ris de me voir si belle en ce miroir ». Certaines générations de l’archéologie des B.D. voient et entendent notre allusion ? Faust, donc, ce Faust qui rendit Gounod célèbre – à 40 ans -, mais peut-être installa du malentendu, car la version francisée d’une histoire essentiellement germanique acclimatait en douceur le mythe goethéen, comme bientôt le ferait Massenet pour un Werther sentimental, sans qu’on puisse évidemment oublier les arrière-plans de toute profondeur dans le faux-vrai opéra de Berlioz, la Damnation, d’une décennie antérieure au Faust de Gounod. C’est au milieu du Second Empire (1859) que Mistral publie son chef-d’œuvre, un Pouèmo Prouvençau, Mireio, jeune fille résolue à l’amour-contre-tous-et-surtout-Papa-Maître-Ramon, et qui partira jusqu’à la mort à travers l’incendie du désert estival de la Crau. C’est cette intrépide qui séduisit Gounod, dont le haut talent consciencieux alla même jusqu’à se rendre « sur le terrain » arlésien comme un Zola descendant au fond de la mine pour l’authenticité de son Germinal…

Une épouse à brillants

Mais il y avait les obstacles, d’ailleurs prévisibles en ces temps d’opéra-pour-faire-plaisir-au-public-avant-tout. Et d’abord, comme le dit d’amusante façon Etienne Barilier (dans un indispensable Avant-Scène Opéra consacré en 2009 à Mireille), il fallait procéder à « l’enterrement de Mirèio l’occitane », donc ré-écrire le poème en « français » : « Michel Carré, le librettiste, joua le rôle du fossoyeur qui priva la « traduction » de la puissance poétique originale : histoire d’amour contrarié, sur fond campagnard, avec une tendre sorcière, quelques aimables scènes infernales, et beaucoup de folklore convenu ». Et puis, catastrophe : le Directeur de l’Opéra, Carvalho, avait une épouse cantatrice, qui réclamait « du brillant » pour Mireille, et à moins d’un courage qui n’est guère dans le profil du doux Charles on ne refuse rien à son Patron, n’est-ce pas ? (Un demi-siècle plus tard, Debussy aura aussi des problèmes avec sa Mélisande et le Père-Légitime-Maeterlinck…).Gérard Condé – le Gounodien absolu, au récent ouvrage-somme duquel on renvoie aussi le lecteur, chez Fayard – narre dans l’Avant-Scène les épisodes ridicules de l’affaire, où il eût fallu que le compositeur acceptât tous les « petits arrangements avec les morts »-(vivants ?) du Lyric-System, et qui s’en tira finalement avec assez d’honneur, quand Carvalho polémiquait avec…du papier timbré ( « je ne sais pas qui est le plus timbré, de lui ou de son papier ! », dit Gounod exaspéré…). L’essentiel portait sur la dimension tragique de l’histoire, à propos de laquelle les lecteurs de Mireio ont évoqué l’Enéide ou la Divine Comédie, et dont le Soleil Noir du plein midi provençal est l’écho sonore-visuel. Le Val d’Enfer où le rival assassin du gentil Vincent, Ourrias, se réfugie poursuivi par le remords, Gounod le rapporte à Dante depuis les Baux où il va trouver l’inspiration – et nous y entendons musicalement un écho de la Gorge aux Loups wébérienne. Quant à la Crau, lieu de la « scène capitale », il fallut consentir à des sacrifices, et ce n’est même qu’en…1939 que fut rétablie la partition originale… Dans le genre « collection (lyrique) Harlequin », on alla jusqu’à imaginer un happy end où Mireille se tirait d’insolation et pouvait épouser son Vincent rescapé. (Transposez vers Tosca : à la fin, Floria et Mario écoutent la Marche Nuptiale de Mendelssohn à Sant’Andrea, et Scarpia, qu’est-ce qu’on en fait, on le met à l’abri puis on le recycle dans le retour des Monarchies ?).

Une couleur provençale de Magnanarelles

Une décennie plus tard, c’était le scandale de Carmen. Et quatre décennies, celui de Tosca (vite effacé par l’enthousiasme public presque immédiat). Qu’est-ce qu’elles ont toutes, ces femmes « libres » ou qui veulent (se) libérer ? Et pourquoi n’avoir voulu si longtemps leur donner qu’une image digne des chants d’après-repas de famille (« O Magali, ma bien-aimée »…) ? En tout cas, sous le Mur Antique, fadaises et réticences n’ont plus cours, et il est probable que mise en scène et conception musicale donneront vigueur moderne à cet opéra trop souvent et longtemps tiré vers les facilités plus agréables, sans toutefois lui enlever sa « couleur provençale » séduisante. Le chef Alain Altinoglou est connu pour ses choix opératiques et symphoniques qui ne négligent pas « l’aujourd’hui » (Tanguy, Dusapin), le metteur en scène Robert Fortune (4e invitation aux Chorégies) aime particulièrement l’univers des contes et incline volontiers vers Offenbach ou la comédie musicale ; Nathalie Manfrino- Mireio – a été révélation lyrique aux Victoires 2006, et à la scène, Mélisande, Micaëla, Violetta, et a aussi participé à une intégrale enregistrée de Messiaen.

Sarah Bernhardt, la Berma, la Callas

Et La Tosca ? Ici, bien sûr, pas d’état d’âme sur cette partition symbole de toute l’histoire de l’opéra, pas seulement italien… La pièce de Victorien Sardou, fort mélo, permit à un premier mythe de s’inscrire dans l’histoire culturelle : Sarah Bernhardt y fut sublime, Puccini alla l’écouter, et Marcel Proust en inventa la Berma : « Malade, dit le Narrateur, même si j’avais cru en mourir, il aurait fallu que j’allasse entendre la Berma. ». La tragédie en musique de Puccini eut son interprète de génie dans les années 50, la Callas…. Et on n’a évidemment pas fini de scruter sinon le pourquoi, du moins le comment du génie dans Tosca : chaque représentation est assurée d’avoir son profil, son tempo, ses chutes de tension, ses sommets, ses vertiges, sa fièvre. On peut voir dans ce chef-d’œuvre du sur-vérisme italien la continuité sublimée d’un bel canto des passions, mais aussi une écriture –dramaturgique et musicale proprement dite – qui à l’orée du XXe ouvrait une forme de la modernité, en se rappelant que Schoenberg appréciait pleinement son grand aîné italien, qui lui rendait la pareille… Et puis, au-delà de la frénésie spectaculaire de l’histoire il faut redéchiffrer tout ce qui traversant l’époque du récit (début XIXe) nous renvoie l’image d’un terrible XXe, de toutes ses formes d’oppression. Mario Cavaradossi torturé « audiblement » devant Tosca et le spectateur, Scarpia et son ignoble chantage, les vertiges de Floria entre l’amour et l’honneur : tout cela quitte une Rome et un Château Saint-Ange de 1800 pour gagner…tant de lieux et de dates ultérieures, vérifiables et potentiellement authentiques, hélas. Les maîtres-mots sont violence, menace, dignité, cruauté, dans un monde où il ne suffit pas de chanter superbement « vissi d’arte, vissi d’amore » pour faire battre les cœurs et propager le frisson d’un sacré qui a nom liberté. C’est dire aussi que la mise en scène – ce sera Nadine Duffaut, qui fit ici Carmen en 2008, et en Hongrie Le Dernier Jour d’un Condamné- et la direction musicale – Mikko Franck, de Finlande aux Etats Unis, d’Allemagne et Italie et Corée – doivent trouver le « ton juste » entre élan, théâtralité violente, réalisme, passion, réflexion et intemporalité…paradoxalement contemporaine. Catherine Naglestad – Californienne de parents scandinaves, et entre autres honneurs, un Prix Maria Callas pour son rôle-titre – est Tosca, et un certain Roberto Alagna (mais nous avons trop peu d’informations sur ce chanteur…) incarne Mario.

Selon le rituel d’Orange, deux concerts accompagnent les opéras (redoublés). Un lyrique montre Nathalie Dessay et le ténor Juan Diego Florez dans airs et duos d’Italie-XIXe ; le chef du Philharmonique de Radio-France (à l’opéra : Tosca) est Giovanni Antonini, le baroqueusissime fondateur-directeur du Giardino Armonico. Le symphonique, avec le National Bordeaux-Aquitaine (à l’opéra : Mireille) que conduit son chef permanent, le Canadien Kwamé Ryan (il a étudié avec Peter Eötvös) est en écho Pathétique (une 6e de Tchaïkovski en résonance avec Tosca), avant de suivre le fantasque Fazil Say dans le 1er de Piotr Illitch. Et en temps de Mistral, allez ouïr au Théâtre Antique les conférences de Michel Alexandre, Mestre d’obro du Félibrige, sur « les deux Mireille ».

Orange (84), Théâtre Antique. 39e édition des Chorégies. Giacomo Puccini (1858-1924) La Tosca, 15 et 18 juillet 2010, 21h45 ; Charles Gounod (1818-1893), Mireille, 4 et 7 août, 21h30 ; concerts 17 juillet, 21h45, et 6 août, 21h30. Réservation : T.04 90 34 24 24 ; Information : www.choregies.com

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