A la campagne dans la maison de Nohant de Georges Sand, Chopin se ressource au bon air mais en récapitulant avec le recul, à bonne distance de Paris; ce qui demeure sa grande découverte vécue dans la capitale française: l’opéra. Les divas de l’époque, sopranos légendaires comme Adelina Patti, Angelica Catalani, Giulia Grisi, Jenny Lind, ou mezzos non moins mémorables telles Giuditta Pasta, Maria Malibran, Pauline Viardot que Chopin a évidemment écoutées, applaudies et pour certaines approchées (dont surtout Pauline Viardot) ont été déterminantes dans l’élaboration de son propre langage pianistique.
La virtuosité s’accompagne d’une élégance et d’un naturel qui la rendent expressive: ni effet démonstratif, ni accentuation délirante mais une juste mesure entre expressivité et technicité. Ce naturel est l’idéal auquel le style lyrique de l’époque tend, comme Chopin dans son art pianistique (pour son phrasé mélodique précisément qui reprend les cantilènes portées par un souffle et une agilité dynamique sans limites). Georges Sand témoigne dans ses écrits de cette adéquation entre sentiment et ornement, piano et opéra dans l’art de Chopin.
Plusieurs airs de bel canto signé Bellini en particulier émaillent le propos de ce film documentaire passionnant ( comme la mezzo Vesselina Kasarova qui cependant aurait gagné à un chant plus propre et davantage tenu et simple, moins affecté par cette ligne irrégulière et boursouflée, même si la cantatrice dans une répétition captivante parle à juste titre de tristesse et de clarté dans un air de Roméo qui pleure Juliette morte à ses pieds, extrait d‘I Capuletti e Montecchi de Bellini).
Piano bellinien
Les spécialistes apportent leurs témoignages dont Jean-Jacques Eigeldinger qui explique comment dans les études du 2è Cahier par exemple (chant de violoncelle dans la main gauche, 1836-1837) Chopin cite Norma de Bellini car sa révélation parisienne demeure l’écoute des opéras de Bellini qu’il a pu d’ailleurs approcher. Dans cette étude de 1837, le pianiste compositeur rend hommage au compositeur italien né à Catane, mort en 1835 à Puteaux.
Humanisation du piano par l’assimilation du chant lyrique, attraction jusqu’à l’hypnose de Chopin vis à vis de l’opéra bellinien, le film ouvre d’éloquentes perspectives pour mieux comprendre le rapport écriture/opéra, Chopin/Bellini..
Poignets, respiration, élan de tout le corps… on sait que Chopin était doué d’une souplesse d’acrobate. Agilité magicienne et si suggestive qui faisaient les délices de ses impros au piano. Au Théâtre Italien, le compositeur se nourrit. Il cite tous les ornements des cantatrices qu’il a connues. Pauline Viardot excelle dans les récitals de l’époque grâce à ses transcriptions des Mazurkas de Chopin. Qu’on appelait plus alors Mazurkas Viardot et non Mazurkas Chopin… !
Après l’explication de l’esthétique chopinienne, à travers le prisme idéalisé de son admiration viscéral pour les opéras de Bellini, on attendrait des illustrations vocales et lyriques plus « propres », sans cette inclination systématique pour les ports de voix et le style wagnérien, post bellinien. Ecoutez les chanteuses invitées à interpréter les opéras du Sicilien, reste difficile: elles n’illustrent que très rarement cet esthétique du naturel et du style. Mais il vrai que l’art du bel canto bellinien l’un des plus difficiles qui soit n’est pas le lot commun des divettes d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs tout l’enjeu du prochain Concours Bellini de Puteaux en décembre 2010 qui devait distinguer les futures grandes voix belliniennes d’aujourd’hui.
Remarquablement réalisé, tourné entre autres à Nohant chez Georges Sand qui fut la maîtresse maternelle du pianiste hypersensible, le film pose les bonnes questions, dévoile la place inspiratrice et transcendante de l’opéra bellinien dans la conception des oeuvres pianistiques du Polonais. Langueur, nostalgie, sentiment d’exil si fort chez cet expatrié qui a quitté sa Pologne natale, et extase lyrique crépusculaire des héros et héroïnes de Bellini se répondent ici avec une pertinence délicatement filmée. Finalement parler de l’écriture de Chopin revient à s’immerger dans l’univers vocal de Bellini. C’est l’un des documents Chopin les plus aboutis et les plus originaux de l’année Chopin 2010. Incontournable.
Chopin à l’opéra. Chopin at the opéra. Documentaire de Jan Schmidt-Garre. 1h + bonus récital lyrique (42 mn). 2010. 1 dvd Arthaus Musik