Cherubini semble s’y amuser à parodier les grandes scènes nobles du grand opéra héroïque tragique et guerrier (pétillant quatuor du I, quand Arbel et Floreski rencontrent les Tartares menés par Titzikan). En pleine tempête révolutionnaire (1791), l’ouvrage semble prendre le contrepied des terreurs contemporaines, par cette élégance poétique capable d’une grande force théâtrale et expressive. L’opéra est contemporain aussi du dernier Mozart (souvent présent ici dans la ligne des bois) et par sa langue directe et symphoniste (clairement atmosphériste, douée de très beaux éclairs déjà romantiques) s’inscrit dans la veine clairement moderne d’un postgluckisme fortement italianisé.
Faiblesse du rôle-titre
Si l’on reconnaît la justesse du choix et l’apport bénéfique des instruments anciens (versus le seul enregistrement jusque là disponible dirigé sur instruments modernes par Muti), osons dire que cette réalisation, surtout vocale, reste indigne d’un tel projet (où malgré tout : -pénurie de vrai chanteurs ou indisponibilité des plus adaptés-, la qualité artistique doit coûte que coûte être préservée)…
Car hélas, trois fois hélas, le plateau vocal est indigne du souci dynamique du chef et de son orchestre. Le profil le plus immédiatement touchant demeure le magnifique Arbel du baryton Armando Noguera dont on ne louera jamais assez la souplesse, l’intelligibilité, l’intelligence, la naturel du chant ; il y a dans son personnage du Leporello trucculent, une tendresse digne d’un Gugielmo de Cosi aussi (Polonaise du I) et du Figaro à venir : un bon sens contrepointant la tension finalement caricaturale de son maître Floreski (si mal servi par le chant contorsionné, instable, serré, hypermaniéré et tout sauf naturel de Sébastien Guèze). Leur très beau duo du I (concluant la polonaise du I est nettement plus réussi, grâce au chant tout en nuances d’Armando Noguera). Philippe Do fait un Titzikan à l’articulation vivante mais lui aussi sérieusement affecté par des aigus tuyautés hypertendus et des fins de phrases plus qu’aléatoires. Le bilan ne s’arrange pas quand paraît Nathalie Manfrino dans le rôle-titre, laquelle peine dans la projection et la tenue des ses aigus au vibrato incontrôlé : tout cela contredit l’esprit des nuances de l’orchestre sur instruments d’époque. Manque de simplicité aussi, surexpressivité envahissante : sa Lodoïska est malheureusement, rien que … caricaturale. Quelle déception !
Pour autant, le génie de Cherubini éclate sans ombre dans cette lecture d’une grande finesse symphonique : Lodoïska de 1791 annonce par sa verve mesurée, sa coupe réfléchie le sommet tragique : Médée de 1797. L’oeuvre attendra quant à elle sa version pleinement convaincante dans le cas des deux rôles majeurs, de Lodoïska et de Floreski. Déséquilibre qui n’ôte rien à la vivace énergie, mordante, élégante qu’apporte l’excellent Cercle de l’Harmonie sous la direction de Jérémie Rhorer. On rêve demain d’écouter une recréation des Abencérages, œuvre tout autant réussie voire plus aboutie encore que Lodoïska : Cherubini est bien un auteur dont l’image caricaturale et trop schématique (ah les critiques haineuses et à charge de Berlioz) attend toujours sa juste réévaluation. De prochaines initiatives en la matière du côté du Palazzetto ?
La récréation préalable à cette Lodoïska, de son unique Symphonie avait été particulièrement appréciée (voir notre reportage Symphonie de Cherubini par le JOA sous la direction de David Stern)
Luigi Cherubini : Lodoïska, 1791. N. Manfrino, H. Thébault, S. Guèze, Ph. Do, A. Noguera, P.-Y. Pruvot, A. Buet. Le Cercle de l’Harmonie, chœur Les Éléments. Jérémie Rhorer, direction. 2 cd Ambroisie enregistré en 2010.
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voir notre reportage vidéo Lodoiska de Cherubini par Le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer (à venir)