vendredi 19 avril 2024

CD,critique, coffret événement. RACHMANINOV : Symphonies, Danses Symphoniques. Valery Gergiev (3 cd, 1 bluray LSO live)

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RACHMANINOV LSO Gergiev cycle critique review cd by classiquenews CLIC de classiquenews Cover_LSO0816_3000px_1024x1024CD, critique. RACHMANINOV : Symphonies, Danses Symphoniques… (3 cd, 1 blu ray LSO LIVE – Valery Gergiev). A l’écoute, la première Symphonie du jeune chef-compositeur de 24 ans, frais moulu du Conservatoire de Moscou (où il fut élève de Arensky et Taneiev) sonne certes parfois épaisse, grave, lugubre, mais rien ne peut justifier l’échec à sa création en 1897, jetant Rachma au fond d’un gouffre dépressif dont il ne se remettra qu’en 1901, soit après 3 années de retraite et d’interrogation totalement stérile. A la tête du prodigieux LSO, Valery Gergiev varie le caractère des séquences, prenant un tempo volontiers mesuré voire ralenti parfois, comme pour mieux creuser le souffle languissant fantastique, surtout dans l’Allegro animato (II) où passe le motif du Dies Irae médiéval (que l’on retrouvera encore dans la 3è symphonie), mêlé au motif tzigane du violon solo. Même le Larghetto est sombre (malgré l’ivresse presque insouciante de la mélodie réservée à la clarinette). Dans le dernier mouvement Allegro con fuoco, Gergiev souligne la vitalité tendue, âpre de la chevauchée parfois massive par ses traits cuivrés; marqué par la fatalité, l’impuissance d’un magma bouillonnant, la 1ère Symphonie affirme une belle puissance de feu qui démontre la connaissance du dernier Tchaikovski, le plus désespéré comme le plus lucide.

Decca : l'intégrale Rachma !Dans la seconde en mi mineur opus 27, également propre à la période russe de Sergueï, l’auteur affirme une toute autre plénitude, en liaison avec son Concerto pour piano n°3, majestueux, lyrique, généreux. Rachmaninov l’écrit à Dresde en 1907 et la dirige lui-même à St-Petersbourg en janvier 1908. La diversité des thèmes réunis en grandes phrases lyriques s’apparente parfois à Sibelius ; plus dense, plus resserrée, la 2è semble mieux canaliser les tensions et les conflits qui s’exposent avec fureur et confrontations impétueuses dans l’esprit du compositeur. Plus mûr, Rachmaninov élabore surtout un Adagio (III) d’une profondeur pudique irrésistible avec sa cantilène, emblématique de toute l’écriture d’un postromantique. Gergiev parvient à insuffler une énergie souterraine qui porte tout l’édifice en particulier dans le dernier mouvement (Allegro vivace) dans lequel il sait attiser la brillance finale d’un espoir lumineux.
Enfin la 3è symphonie est la pénultième oeuvre du compositeur et s’inscrit dans son exil américain de Philadelphie où elle est créée le 6 nov 1936 sous la baguette de Leopold Stokowski. L’instrumentarium très divers (célesta, deux harpes, xylophone, percussion augmentée…) affirme la volonté de couleurs et de texture de timbres, moins d’architecture et d’effet de masse : ce que comprend très bien Gergiev qui avance, détaille aussi le formidable miroitement instrumental qui est constant d’un mouvement à l’autre. Proche des avancées et de l’esprit de synthèse d’un chercheur contemporain, de l’autre côté de l’Atlantique, Sibelius en Finlande, Rachmaninov opte aussi pour un canevas épuré, un développement réduit à l’essentiel… Gergiev y expose et travaille la matière des seulement trois mouvements (autour de 40 mn en générale) avec une acuité du trait plus dense encore, répondant à cette économie de l’énergie du dernier Rachma. La versatilité de l’orchestre redouble de vivacité, entre références aux motifs du terroir russe, et tendresse lumineuse. L’Adagio est le plus « américain », au sentimentalisme éperdu, sincère et direct, dont la langueur contraste avec le scherzo haché à la Prokofiev. Puis Gergiev éclaire dans le dernier épisode (Allegro) tout ce que Rachma doit à Borodine, son allant, sa transe populaire et noble, son nerf chorégraphique. surgit le Dies Irae médiéval puis l’écriture se fait plus légère, dynamique, brillante dans laquelle le chef sait faire scintiller l’orchestration particulièrement fertile.

gergiev-valery-gergiev-maestro-portrait-par-classiquenews-livre-actes-sud-biographie-entretien-critique-livre-par-classiquenewsLes Danses Symphoniques de 1940, ultime ouvrage orchestral, comporte le testament musical, esthétique et spirituel de l’auteur. Gergiev a bien raison de les inscrire dans ce cycle orchestral des plus complets : ne manquerait en définitif que L’île des morts opus 29 de 1909, et le tour aurait été exhaustif s’agissant du Rachmaninov purement orchestral. Comme la 3è Symphonie, le dernier volet symphonique est créé à Philadelphie (en janvier 1941), au cœur de la tourmente européenne : le plan initial comportait un autre titre, plus révélateur de l’inspiration poétique de l’auteur, dans l’esprit d’une synthèse de la vie terrestre : « danses fantastiques », conçues comme miroir de la destinée humaine, à la fois espérance et tragédie : « « jour, crépuscule, minuit ». Rachmaninov recycle en réalité la matière de son ballet antérieur Les Scythes de 1915. Ce qui touche ici c’est la fusion modernité / romantisme, sublimé par un esprit synthétique qui resserre le développement formel selon l’intention du souffle poétique. L’architecture y est des mieux équilibrées et conçues de toute la littérature russe du XXè : le premier « non allegro » cultive l’ambivalence du caractère, à la fois jaillissant et de plus en plus cynique / mordant. Gergiev en exprime le galop infernal quand surgit au saxo solo, une cantilène amoureuse et nostalgique (jaillissement de l’âme russe). Le 2è mouvement noté Andante con moto, tempo di valse, souligne un départ de valse mais décalé, comme retardé (faux départ), finalement démantelé scrupuleusement par un orchestre indomptable, destructeur, animé par cette flamme du chaos (dyonisaque) que Gergiev saisit et sait sculpter avec beaucoup de finesse nerveuse. D’autant que le geste détaille aussi les nombreuses références aux plasticiens français de l’orchestre, Debussy et surtout Ravel. C’est le mouvement le plus convaincant du triptyque. Puis dans l’ultime séquence, « lento assai – allegro vivace », Gergiev prépare l’exposition du Dies Irae, moto du destin, présent dans toute la musique symphonique de l’auteur : il en sculpte là encore la vive opposition avec le 2è thème liturgique (air orthodoxe : « Bénis-sois-tu Seigneur ») dernière supplique et prière où s’entrechoque avec fureur et impétuosité, la furià imaginative d’un Rachmaninov (percussions éruptives et finement dessinées) qui n’a jamais perdu sa fertile narrativité de la jeunesse, celle des ses opéras à redécouvrir de toute urgence. Ici Gergiev nous montre clairement que Rachmaninov n’est pas lyrique, mais percutant, incisif, parfois amer mais âpre et révolté ; il est foncièrement fantastique : la présence des ténèbres est exaltée par l’ivresse et le vertige des rayonnements célestes. Très bonne intégrale symphonique Rachmaninov. Les compléments : signés Balakirev, le fondateur du Groupe des 5, militant pour une école nationale russe, montre le chemin parcouru entre le fondateur jusqu’à Rachma, vrai dernier romantique russe au XXè, à l’époque de Prokofiev. Tamara, sommet de 1883, d’après Lermontov, inscrit la sensualité terrifiante de l’héroïne dans l’imaginaire des compositeurs après lui : le venin de la malédiction, l’amour et la mort, le destin, fatum irréductible, indomptable sont nés chez Balakirev, cultivés, prospères chez Rachma. Belle filiation que met en avant Gergiev et qui souligne aussi dans la comparaison, le tempérament puissant et original de Rachmaninov.

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CLIC_macaron_2014CD,critique, coffret événement. RACHMANINOV : Intégrale des Symphonies, Danses Symphoniques. Mily Balakirev : Tamara. LSO. Valery Gergiev (3 cd, 1 bluray LSO live 2008 – 2015)

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