CD. Tchaikovsky : Concertos pour piano n°1 et n°2. Denis Matsuev, piano (1 cd Mariinski). Beau défi de jouer comme dans la continuité d’un diptyque, les deux Concertos pour piano de Tchaïkovski, le premier ayant presque totalement éclipsé le second qui en serait le double intime, le revers d’un miroir qui, s’il se déclare noble, majestueux, raffiné sur sa face première, se révèle ici plus intime et pudique, voire secret en manquant ni d’épanchements blessés, ni de déclarations profondes. A chacun d’y percevoir un peu de la vérité toujours dissimulée d’un Tchaïkovski autobiographique… Mais le tempérament du compositeur se refusant à tout débordement… a contrario de bien des jugements à l’emporte pièce, le style concertant du compositeur russe ne fait pas étalage mais il absorbe toute les contradictions de ce que doit être la forme et les directions (contradictoires) d’un grand concerto romantique (après Mozart, Beethoven Liszt) préparant Rachma. On sait gré au pianiste presque quadra Denis Matsuev (né en 1975, Prix Tchaïkovski 1998 à 23 ans) et sa carrure élégantissime, pleine de feu, de panache et d’éclairs intérieurs d’exprimer le bouillonnement pluriel d’un génie aux facettes multiples baignant lui-même, comme sa vie personnelle en atteste, dans la plus tumultueuse des contradictions. Du reste ce Concerto n°2 vraie révélation du programme, contemporain d’Eugène Onéguine, exprime lui aussi les affres et les tensions d’une âme tourmentée.
Après un Concerto n°1, puissamment énoncé mais avec une technicité redoutable, la lecture du n°2 nous éblouit davantage par son élocution libre et fantaisiste, quasi improvisée, d’un caractère éminemment solistique et brillant qui imprègne une bonne partie du premier mouvement (le plus long : plus de 20 mn) ; que dans le second mouvement Tchaïkovski « ose » écrire des parties solistes pour le violon et le violoncelle au point d’affleurer au trio concertant, tout cela montre la vitalité de son inspiration lyrique et romantique. S’y recyclent avec ferveur, cran, style, mélodies populaires (comme il le fait dans le n°1) et aussi des allures d’ampleur chorégraphique (Balanchine n’a pas par hasard choisi la matière du n°2 pour son ballet impérial).
Gergiev dans la fosse s’ingénie à apporter le tapis orchestral le plus palpitant sans lourdeur ni épaisseur, privilégiant une entente dynamique et complice avec l’éloquence superlative du pianiste russe. Matsuev affirme une qualité d’intimité facétieuse, jamais amidonnée qui rétablit dans ce n°2 en particulier, son caractère de confession mystérieuse voire énigmatique… tonalité plus encore développée avec les cordes solistes dans le mouvement second (andante non troppo). Avec ses Rachmaninov, cet album Tchaïkovski est de loin l’un des plus réussis du pianiste originaire d’Irkoutsk, à l’aura officielle en Russie (directeur artistique de la fondation Rachmaninoff, membre du Comité présidentiel pour la culture et les arts…, et plus récemment, directeur depuis 2008 de la fondation pour les jeunes musiciens Les Nouveaux Noms, enfin organisateur du Festival Crescendo, depuis 2005, également dédié à l’éclosion des jeunes tempéraments musiciens…). On comprend à l’écoute des deux Concertos que les jeunes pousses soient inspirées et portées par l’exemple musical d’un tel musicien. Profond et rugissant, nuancé et introspectif, ce Tchaikovski nous plaît totalement.
Tchaikovsky : Concertos pour piano n°1 et n°2. Denis Matsuev, piano. Mariinski orchestra. Valery Gergiev, direction. Enregistrement réalisé en mars et avril 2013 au théâtre Mariinski, Saint-Pétersbourg. 1 cd Mariinski MAR0548.