CD, critique. BEETHOVEN : Sonates pour piano n°3° opus 109, n°28 opus 101. ISHAY SHAER, piano (1 cd ORCHID classic, juillet 2015). D’emblée, on sent une forte conscience musicale, propre à exprimer l’inquiétude du discours, sa fragilité, son instabilité qui sourde, comme sa profonde subtilité mouvante. L’interprète construit tout un monde flottant à la belle structure et au toucher murmuré, canalisé, souvent peu appuyé. Aucun doute, le pianiste israélien Ishay Shaer a beaucoup de choses à nous dire sur la question de Beethoven. Sa compréhension du compositeur, sa retenue très riche en intentions retient immédiatement l’attention et nourrit l’écoute. Nous notons : la très belle fluidité liquide, flexible et schumanienne du premier Vivace de la Sonate d’ouverture n°30, auquel répond l’agilité elle aussi très finement calibrée du court Prestissimo qui suit. Le souffle ample, intérieur et d’une infinie rêverie nostalgique se déploie avec un sens grave de la construction, dans le plus important des 3 mouvements de cette Sonate, (plus de 12 mn) : noté Andante molto cantabile ed expressivo, l’épisode, l’un des plus suspendus du dernier Beethoven, l’un des plus énigmatiques aussi dans le registre introspectif et amoureux, à la fois vivant et caressant. Né en 1983, Ishay Shaer en exprime l’état d’ivresse et de conscience alternées, entre ravissement et renoncement. Encore parfois vert, l’allant prime ici sur la ciselure inquiète, ténue, mais en dépit de sa jeunesse, le pianiste remarqué et distingué par Daniel Barenboim en 2011, sait construire la fine architecture si versatile d’un Beethoven qui ne cesse d’expérimenter, de questionner, de nourrir et de redéfinir le cadre du développement formel (où Beethoven semble nous poser la question et se poser la question à lui-même, … : qu’est ce qu’un mouvement final de Sonate, où va-t-il, quel est son sens ?…), en particulier dans la section dernière où la question enfle jusqu’à son point de non retour, laissant l’auditeur dans un état d’attente sidérée.
Le jeune pianiste Ishay Shaer enregistre un récital Beethoven de bout en bout captivant
Elégance et âpreté du geste beethovénien
L’enchaînement se produit avec les 6 Bagatelles de l’opus 126, pleine de retenue introspective (premier Andante), ou échevelée, pulsionnelle (Allegro et Presto), parfaitement agencés dans l’esprit d’une série de pochades au caractère chacune très affiné, affûté, sculpté avec un sens immédiat et franc de la sincérité. Là encore c’est la grande élégance du geste, et la retenue veloutée du toucher (le grazioso très articulé du n°3), la recherche d’une sonorité ronde, équilibrée qui fouille, interroge matière et direction du geste sonore…, qui captivent. Le pianiste n’a rien à démontrer, mais il invite, suggère, éclaire. Même impression d’une intelligence en éveil, à l’affût dans les 11 Bagatelles qui suivent (Opus 119).
La pensée expérimentale, éruptive de Beethoven s’exprime tout à fait dans les 3 épisodes de la dernière Sonate n°28 (Opus 101) de ce récital très abouti. Les deux premiers exposent clairement les diverses tendances d’une âme radicale, absolutiste, puis la 3è et dernière, la plus développée, est énoncée et structurée à la façon d’une synthèse rétrospective qui cible aussi l’avenir. L’acuité du geste, la ciselure souvent crépitante du toucher indiquent clairement chez Ishay Shaer, un beethovénien capable de clarté, de nuances secrètes et intimes, de caresses déjà mozartiennes, moins d’astuces et de facéties formelles à la Haydn. Le caractère ombrageux de Beethoven se libère amplement, de façon très graduelle dans l’Adagio finale, de plus de 10 mn, aux éclats sertis dans toutes les nuances ébène. Le tact à la fois ténébriste et feutré du pianiste convainc absolument dans cet instant suspendu où le temps s’arrête, tout inféodé à l’émergence de la sensation et du sentiment : ceux du songe, de l’oubli, du renoncement, de l’absolu poésie. Ishay Shaer n’oublie pas la gravité secrète qui nimbe toute la clarté de ce passage schubertien dans sa quête de la réitération enivrée, capable d’éclairs, voire d’assauts d’une ardeur juvénile quasi primitive (remarquable lumière et énergie de la fugue finale). Ce que nous dit le jeune pianiste est souvent captivant. Ishay Ishaer appartient à la génération nouvelle de pianistes au tempérament mûr, très inspiré par le répertorie défendu. Dans la continuité de cette inspiration chez Beethoven, on aimerait à présent l’entendre chez Liszt, Schumann et … Haydn. A suivre évidemment.
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CD, critique. BEETHOVEN : Sonates n°28, 30, Bagatelles… ISHAY SHAER, piano (1 cd Orchid classics, UK, juil 2015). – Illustrations : portrait chemise blanche © J Coen
VIDEO Beethoven par Ishay Shaer :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=54& v=3jBx0oaoR4w