CD, compte rendu critique. « Transcendental » — Daniil Trifonov plays Franz Liszt : 12 Études transcendantes (2 CD Deutsche Grammophon, 2015). Né en 1991, Daniil Trifonov après des albums précédents dédiés à Rachmaninov intéresse aujourd’hui au Liszt d’ampleur et d’ambition : le génie du concert démonstratif comme le conteur poète, guide de paysages sonores d’une irrésistibles profondeur…
CD1. LISZT s’est longuement penché sur le berceau de ses 12 Études transcendantes, composées à partir de 1827, guère fixées après remaniements qu’en 1851, avec titres poétiques et présentations plus claires, mais d’une technicité non moins redoutable.
Car sous l’étoffe ébouriffante de la virtuosité se révèle peu à peu la lyre poétique d’un tempérament qu’appelle et inspire l’éther céleste inaccessible. Entre subtilité suggestive et performance virtuose, peu de jouer ont ici pu trouver leurs marques. D’emblée, le jeune Daniil Trifonov (Premier prix 2011 au Concours Tchaïkovski de Moscou et au Concours Arthur Rubinstein de Tel Aviv) affirme une magnifique tempérament, maîtrisé, cohérent, et déjà d’une somptueuse éloquence poétique. Ampleur et souffle comme implication directe et vision souvent millimétrée, intérieure, le jeu du jeune pianiste russe répond à nos attentes s’agissant d’un cycle de qui dépasse sa réputation exclusivement technicienne. Il faut y déployer une dose mesurée de sentiment pour réussir dans sa totalité sa formidable évolution, entre avatars et résonances, depuis son début jusqu’au terme de la 12ème Études. A 25 ans, le pianiste réussit un parcours sans fautes.
La notice fait valoir le regard introspectif du pianiste sur les 12 études, abordées tels les jalons d’un cheminement progressif, spirituel, à tout le moins, philosophique, miroir d’une expérience, longue épopée, celle de Liszt. « Mazeppa, Feux follets, Vision, Eroica, Ricordanza, harmonies du soir, Chasse neige »… chaque séquence est investie et incarnée avec une habileté sobre, un engagement d’une honnêteté admirable, et d’une certaine façon, au regard du jeune âge de l’interprète, d’une cohérence et d’une franchise surprenante.
CD2. Tout aussi délicatement habité, le second disque présente un choix de 5 Etudes de concert, dont les 3 enivrées, entières, passionnelles de l’opus S. 144, là encore véritable triptyque poétique et philosophique voire allusivement mystique : Il lamento, La leggierezza (d’une évanescence magicienne), Un sospiro. Sans omettre, les Grandes Etudes de Paganini, exprimées portées et renouvelées avec une aisance et une classe raffinées. Ainsi l’assise des exercices paganiniens (maestrià avec panache de l’étude la plus longue, plus de 5 mn : « Octave », souvent vertigineuse), n’empêche pas l’éloquence filigranée ni l’intériorité finement calibrée là aussi (plage 8 : « Campanella » entonnée comme une berceuse et énoncée avec une franche tendresse, continument murmurée et articulée avec une suavité volubile : quelle imagination dans l’art de déclamer : Trifonov subjugue par son sens de la progression du discours sur la durée). Oui Daniil Trifonov est comme un lutin facétieux et diversement suggestif. En dévoilant l’intériorité et la richesse poétique sous les cascades virtuoses des notes emperlées, le jeune pianiste nous touche infiniment. A suivre. Heureuse surprise qui vient combler la moisson pianistique de cette rentrée 2016, où brille un autre talent immense, fulgurant du clavier actuel, le Britannique Benjamin Grosvenor (LIRE notre compte rendu de son dernier disque : HOMAGE édité chez Decca).
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CD, compte rendu critique. « Transcendental » — Daniil Trifonov plays Franz Liszt (1811-1886) : 12 Études transcendantes, Etudes de concert S 145 et S 144 — Grandes Études de Paganini S 141 — 2 CD Deutsche Grammophon 0289 479 55 290. Enregistré en septembre 2015 à la Siemensvilla, Berlin. Durée : 66’06 + 51’24.