CD, compte rendu critique. Chopin : Concertos n°1 et 2. Elizabeth Sombart, piano (1 cd, 1 dvd – Fondation Résonnance, Londres, mai 2014). A Londres dans les studios Abbey Road, la pianiste Elizabeth Sombart (sur un Grand Fazioli, 278) délivre un témoignage bouleversant dans deux œuvres emblématiques de son compositeur fétiche, Frédéric Chopin. Même si le Concerto pour piano n°1 est plus connu, notre préférence va au Second, pourtant composé avant le premier (1830). C’est que le jeu et le style intérieur, à la fois profond, impliqué mais d’une sobriété essentielle, en particulier dans le mouvement central (Larghetto) s’affirme par un sens de la respiration, de l’écoute intérieure que sa complicité avec l’orchestre et le chef porte jusqu’à incandescence et dans une subtilité irrésistible. Même la valse et la mazurka du dernier mouvement sont énoncées et ciselées avec cette caresse détaillée, ce détachement infiniment allusif qui éblouissent littéralement.
Composé à l’été 1830, le Concerto pour piano n°1 avec sa grandiose introduction préliminaire où se joue toute la tragédie intime du compositeur mais entonné avec un feu d’une élégance supérieure, s’affirme ici grâce à la direction toute en finesse du chef, et l’éloquence coulante, organique des instrumentistes du RPO Royal Philharmonic Orchestra, le collectif londonien fondé par Sir Thomas Beecham au lendemain de la guerre, en 1946. Chantant, amoureusement, le piano d’Elizabeth Sombart s’accorde idéalement à l’accord précédent des bois, caressant, d’une retenue toujours très nuancée, le jeu de la pianiste exprime au plus juste la blessure, le chant de grâce d’une âme atteinte qui porté par l’élan de l’exil, quitte sa terre natale pour n’y plus venir, une traversée sans retour ; la Romance qui est son épicentre et le second mouvement se déploie comme une caresse (Larghetto), ample réminiscence d’une rêverie évidemment amoureuse, mais comme le précise le compositeur, crépusculaire, nocturne, lunaire. De fait, Elizabeth Sombart l’inscrit naturellement dans sa connaissance des Nocturnes (futurs) mais dans l’esprit d’un songe pour l’aimée (toujours sa tendre Constance Gladowska qui fut au Conservatoire de Varsovie, une jeune cantatrice secrètement et ardemment désirée, comme l’être inaccessible de Berlioz) ; mais la pudeur extrême de Chopin lui interdit tout épanchement appuyé : voilà pourquoi le toucher d’Elizabeth Sombart se fait d’une douceur secrète et mystérieuse qui semble éclairer chaque détail de ce paysage intérieur, sur un tempo suspendu comme un rêve qui ne voudrait jamais se conclure.
Le Concerto n°2 écrit et conçu avant le n°1, fait valoir un dramatisme plus âpre, premier, primitif et direct dans son surgissement épique, mais d’une activité continue que les interprètes chef et soliste principalement doivent canaliser en préservant l’architecture et tout autant l’expression naturelle et vive du rubato de l’instrument soliste. Dès le premier mouvement Maestoso, chant d’une indicible blessure tragique, le jeu de la pianiste française écoute toute la liberté du rêve intérieur au-delà de la carrure imposante de l’orchestre ; même chant singulièrement chantant et d’une tendresse pudique éperdue dans le mouvement qui suit, le plus suspendu entre tous : Larghetto où la cantilène amoureuse secrètement dédiée à l’aimée d’alors à Varsovie où fut créé le Concerto (le 17 mars 1830) : toujours l’inévitable Constance Gladowska (comme Mozart, le prénom de l’être chéri entre tous). Elizabeth Sombart exprime au plus juste et sans affèterie ni surjeu artificiel, le chant ému naturel d’un cœur à l’autre. Voilà certainement, la confession la plus intime d’un Chopin qui d’une élégance nerveuse et toujours d’une grâce infinie, affirme un tempérament d’une absolue certitude y compris dans le témoignage personnel, celui d’une extase intime. Cette ligne claire et incisive, d’une finesse Bellinienne, d’un bel canto caressant, marqueront fortement et Liszt et Schumann : l’accord entre pudeur et murmure éveillé entre piano et orchestre est ici à son sommet. Inspirée par une tendresse permanente, le sens d’une continuité organique d’un mouvement l’autre, d’un Concerto à l’autre, au point d’en réaliser un volet entier parfaitement cohérent, Elizabeth Sombart fait surgir l’essence caressante, mozartienne, du chant chopinien. Le chef, tout en délicatesse et ardeur suit la pianiste jusque dans le moindre accent de chaque mesure : un travail d’un fini prodigieux. CLIC de classiquenews de décembre 2015
CD, compte rendu critique. The Art of Chopin. Concertos pour piano n°1 et 2 (1830) de Frédéric Chopin. Elizabeth Sombart. RPO Royal Philharmonic Orchestra. Pierre Vallet, direction. 1h17mn. Enregistrement réalisé à Londres, Studio Abbey Road, mai 2014. 1 cd. Le dvd complémentaire récapitule les conditions, la préparation, les enjeux esthétiques de l’enregistrement de 2014.