CD, coffret événement. DEBUSSY : complete works (22 cd + 2 dvd Deutsche Grammophon). Le livret notice accompagnant le coffret de Debussy 2018 édité par Deutsche Grammophon donne la clé et le niveau d’une édition de réféfrence pour l’année Debussy 2018, année du centenaire dédié au réformateur de la musique française au début du XXè, et même pionnier, artisan de la modernité en musique, comme le fut Picasso en peinture (avec les Demoiselles d’Avignon en 1907). D’emblée la qualité des textes qui contextualisent et récapitulent l’apport de Claude Debussy à l’art en général (signé Roger Nichols et Nigel Simeone) indique la réussite et la valeur de la somme discographique. C’est aussi l’indication qu’en dehors de l’Hexagone, l’exception Debussy est idéalement analysée, comprise, mesurée. Bonheur de la musicologie moderne, extrafrançaise.
De fait, enfant de la Société nationale et de cette défense organisée pour l’art et la musique française contre l’invasion prussienne et wagnérienne, Debussy réalise ce que l’on attendait alors : l’invention d’une écriture nouvelle, moderne, résolument gauloise (Ars Gallica, bannière de la dite Société nationale). Pour conjurer l’humiliation de la défaite française de 1870, les artistes nationaux n’ont de cesse de produite une alternative au wagnérisme mondial. Musique de chambre, orchestre et opéra… autant de genres où les Français sont espérés, attendus ; où Debussy réussit définitivement dès 1902, avec son seul et unique opéra achevé, Pelléas et Mélisande d’après Maeterlinck. L’ironie du sort fait de Claude, le Prix de Rome 1884 (né en 1862, Debussy a 22 ans) : et très vite un critique acerbe contre l’institution académique qui il est vrai, cultive la pérennité la continuité d’une tradition musicale poussiéreuse, conservatrice et mourante. Alors que les jeunes académiciens bien conformes et si prévisibles (à la Dubois par exemple, certes technicien et très aimable mais si lisse), Debussy invente litéralement la musique du XXè, entre hypersensualité et harmonies suspendues ouatées : ainsi surgit Prélude à l’après midi d’un Faune de 1893 (à 31 ans c’est sa première partition aboutie, éblouissante, indiscutable, de surcroît d’après Mallarmé, dont l’admiration immédiate et l’estime confirme qu’un pur inventeur de surcroît poète, s’est lui-même trouvé). Finalement, Debussy fait vivre à la musique française, ce que Monteverdi au début du XVIIè, à force d’expérimentation dans le creuset de la forge madrigalesque, a réalisé à l’aube baroque : une musique érotique et organique d’une incandescence et fulgurance régénérée.
Le coffret Debussy 2018 édité par Deutsche Grammophon rend compte de la révolution Debussy des années 1890 et 1900 : ainsi se précisent dans des interprétations plus que vénérables, – indispensables, les facettes de la modernité de Debussy au début du XXè. Avec lui, la musique rompt tout lien avec le romantisme, se fait symboliste puis résolument moderne, à la façon… du peintre Degas, que Claude de France admirait entre tous.
Parmi les incontournables du coffret Debussy 2018 par Deutsche Grammophon, distinguons le sentiment d’extase et de sidération organique défendus par Leonard Bernstein (1989 : Images pour orchestre, Prélude à l’après d’un faune, La Mer – cd1) ; Nocturnes et Printemps par Barenboim (et l’Orchestre de Paris, en 1977 / 1978 – cd4) ; les 12 études par Maurizio Pollini (Premier et Deuxième Livres, 1992) ; Images I et Images II par Benedetto-Michelangeli, 1971) ; le Quatuor à cordes de 1893 par les Emerson (1984 / à comparer avec le Quatuor Lasalle, 1952), la Sonate pour violoncelle et piano (Sol Gabetta et Grimaud, 2012) ; les mélodies par Véronique Dietchy et le piano évanescent, éloquent de Philippe Cassard (Ariettes oubliées, 5 poèmes de Baudelaire, Chansons de Bilitis…) / heureux confrères des Gérard Souzay et Dalton Baldwin… dans Fêtes Galantes, 2 Romances de Paul Bourget, 3 Mélodies de Verlaine (1891)… D’ailleurs au registre des comparaisons entre versions validées par Debussy lui-même et dans des parures différentes : les 3 ballades de François Villon de 1910, par Véronique Dietschy et Emmanuel Strosser (pour la version chant / piano, 2002), et la version pour voix et orchestre par Pierre Boulez et Alison Hagley (Cleveland, 1999). Le coffret comprend 2 versions totalement distinctes de Pelléas et Mélisande (1902), l’une en cd, celle de Claudio Abbado (Wiener Philharmoniker, avec Maria Ewing, François Le Roux, José Van Dam, dans les rôles de Mélisande, Pelléas, Golaud, 1991) ; et celle en dvd, purement anglosaxonne signée en 1992 par l’intellectuel et conceptuel Boulez, lequel avec les équipes écossaises et devant les caméras de la BBC, ne s’encombre guère d’exactitude linguistique pourvu que l’ivresse orchestrale s’accomplisse – avec Alisson Hagley, Neill Archer et Donald Maxwell, dans les rôles de Mélisande, Pelléas, Golaud).
Dans un souci d’exhaustivité bien légitime et obligé pour respecter la mention de façade : « complete works / intégrale des oeuvres », l’éditeur ajoute les partitions méconnues lyriques : Le martyre de Saint-Sébastien (Ansermet) ; les cantates pour le Prix de Rome : Le Printemps, Le Gladiateur, L’Enfant Prodigue (« scène lyrique », Grand Prix 1884), La Chute de la maison Usher (1908-1917), par Georges Prêtre, 1983)…
Passionnants bonus, et inédits en cd : 6 Epigraphes antiques, version orchestrale de et par Ernest Ansermet (1953) ; La Mer et Prélude à l’après-midi d’un faune par Karajan (1964) ; Ibéria – Images pour orchestre par Pierre Dervaux en 1961 (cd 20).
Sans omettre les approches des pianistes Friedrich Gulda, Monique Haas, Sviatoslav Richter, Claudio Abbado (! : « La plus que lente »), … contenu du cd 21 (autres inédits au disque). Coffret passionnant. CLIC de CLASSIQUENEWS de février 2018.
———————
CD, coffret événement. DEBUSSY : complete works (22 cd + 2 dvd Deutsche Grammophon)