un somptueux anniversaire
Les Dimanches Musicaux de Castres fêtent leurs 20 ans. Sa directrice artistique, Claire-Marie Peyrot des Gachons, a organisé un somptueux anniversaire sur un week-end avec cinq concerts variés. Il n’est pas facile dans une petite ville de proposer avec cette régularité et ce niveau d’excellence des concerts de musique de chambre. Les Parisii reviennent cette année avec l’altiste Michel Michalakakos pour interpréter deux quintettes à cordes de Mozart afin de clore en beauté ce mini festival musical.
Dans le monde de la beauté
Ces deux « grands » Quintettes datent de 1787 et sont encadrés par Les Noces de Figaro et Don Juan. C’est dire combien ils ont été composés durant une période fastueuse. Une théâtralité intense les habite entre joie et drame. La complicité des cinq instrumentistes de ce concert est amicale et très ancienne car datant de leur fréquentation du conservatoire. La fusion a été totale afin de proposer une interprétation mémorable de ce qui est certainement ce que Mozart a composé de plus beaux pour des cordes. Ces joyaux de la musique de chambre offrent une somme de plaisirs tout à fait considérable tant la forme est parfaite, les émotions profondes et variées et l’invention souveraine. Le K 515 est olympien, la tonalité d’ut majeur permettant un brillant étincelant. Mais la présence de deux alti offre des moments de pénombre et de délicate mélancolie dans les infimes recoins d’une partition absolument magnifique en sa solidité. Les timbres des cordes sont chatoyants, le premier alto, joué par Michel Michalakakos a des moments de fulgurance bouleversants. La sonorité est pleine et ronde et le phrasé si intense que l’émotion naît de cette beauté si resplendissante. Le quatuor Parisii s’associe autour de l’invité pour former une famille d’amis de la musique capable de tout donner afin de rendre justice à cette partition si riche. Le duo violoncelle, violon qui ouvre le quintette donne le ton dès les premières mesures. L’élégance et l’humour sont immédiatement présents, une richesse dynamique et une plénitude de sonorité également. Tout est beauté et rien ne vient gâcher la joie née de cet absolu. Tous les musiciens jouent le jeu de la collectivité car personne, pas même le premier violon, ne tire la couverture à lui. Le plaisir de jouer ensemble, une si belle partition se communique à l’auditeur ravi d’une interprétation si bouleversante et fraternelle.
La mort est la vie
Le quintette K 516 est très différent. Tout aussi bien construit, il est beaucoup plus audacieux. De nombreux silences et arrêts relancent constamment l’intérêt. Les sonorités sont beaucoup plus sombres et un poids émotionnel constant impose une écoute très attentive. La véritable tristesse qui diffuse de ces pages est très prenante. La sonorité de Dominique Lobet, alto du quatuor, ici en premier alto, est tout aussi somptueuse que celle Michel Michalakakos prouvant combien ces musiciens ne se démarquent que lorsque la partition l’exige. Les sonorités qu’Arnaud Vallin arrive à obtenir de son violon sont si variées, allant du splendide au diaphane le plus impalpable, qu’il arracherait des larmes aux cœurs les plus endurcis. Il est vrai que l’acoustique excellente du petit théâtre Arts-nouveaux permettait des audaces de nuances sans qu’on en perde jamais rien. Les moments d’intime complicité sont si nombreux et variés, si amicaux, que cela semble venir d’un rêve fait de musique. Les deux mouvements lents qui se suivent apportent une émotion si profonde qu’elle en devient inoubliable. D’abord avec des sourdines, un adagio ma non troppo alimente la profondeur des réflexions humanistes dans un ambiance brumeuse, puis Mozart débute son final avec un vrai adagio. Comme pour accentuer les peines du cœur et de l’âme mêlées le chant devient déchirant de lucidité et semble s’éteindre de douleur sans plus une goutte d’énergie vitale. Les mots écrits par Mozart à son père malade viennent souvent à l’esprit : « Comme la mort est le vrai but de notre vie, je me suis, depuis quelques années, tellement familiarisé avec cette véritable amie de l’homme que son visage, non seulement n’a plus rien d’effrayant pour moi, mais m’est très apaisant et consolant ! », « je ne me couche jamais le soir sans réfléchir que, le lendemain peut être (si jeune que je sois), je ne serai plus là et pourtant personne de tous ceux qui me connaissent ne peut dire que je sois chagrin ou triste dans ma fréquentation ». Le Quatuor en sol mineur illustre ces intimes pensées du musicien génial qui nous permet de les partager avec lui quand, comme ce soir, des interprètes si inspirés savent en rendre toutes les plus infimes subtilités. Les nombreux silences ont leur juste poids, les nuances sont puissamment creusées offrant des contrastes saisissants en des jeux de question-réponse profondément émouvants. Mais Mozart ne saurait nous laisser inconsolés et la pirouette finale qui lui fait oser couper son dernier mouvement en deux, adagio puis allegro, donne à cette fin une énergie de vie si puissante qu’elle semble refuser de se laisser fléchir. Ce quintette est si profondément bouleversant qu’il est heureux de le terminer sur cet allegro pris par nos interprètes à un train d’enfer. Car s‘il n’est pas question d’accepter la mort autrement qu’en y courrant joyeusement, il convient de ne pas alourdir un destin commun à chaque homme, dont seule l’heure nous en est inconnue. C’est l’exquise politesse d’âme de Mozart, son éthique immuable est grave mais jamais lourde. Le public fidèle des Dimanches Musicaux de Castres a su remercier les artistes comme il convenait. Heureusement sans leur demander de bis après un concert si exquis. Seul le silence pouvait faire suite aux applaudissements, après un tel voyage ethique.
Castres. Théâtre Municipal, dimanche 7 février 2010. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quintettes pour alto et quatuors à cordes K 515 en ut majeur et K 516 en sol mineur. Quatuor Parisii : Arnaud Vallin, premier violon ; Jean-Michel Barette, second violon ; Dominique Lobet, alto ; Jean-Philippe Martignoni, violoncelle. Michel Michalakakos, alto.
Illustration: © Guillaume Serpault. Les Parisii et au centre, Michel Michalakakos