Bruno Procopio dirige Rameau à Caracas
Le 14 avril 2011, le jeune claveciniste et chef d’orchestre, Bruno Procopio se distingue comme directeur musical de l’Orchestre des Jeunes Simon Bolivar à Caracas (Venezuela), qu’a conduit partout dans le monde le dynamique et si charimastique Gustavo Dudamel… La phalange qui joue sur instruments modernes n’était guère sensibilisée jusque là à la manière baroque. Pourtant relevant les défis multiples d’un programme très ambitieux, Bruno Procopio apporte aux instrumentistes, neufs en la matière, le mordant et la fièvre du plus spectaculaire des Français baroques, Jean-Philippe Rameau.
A Caracas, Bruno Procopio dirige l’orchestre « A », c’est à dire les plus aguerris des instrumentistes nés et formés au sein du Sistema, institution musicale exemplaire fondée par José Abreu, et fleuron du système éducatif et artistique du Vénézuela. La partie était d’autant plus délicate: comment transmettre aux musiciens plus familiers des auteurs du XXème et des rythmes pulsés latino-américains, ce feu sacré nécessaire qui dans Rameau, produit la trépidation des rythmes de danse? Bruno Procopio qui n’en est pas à son premier défi, sait exploiter la vitalité des musiciens de Caracas, leur ouverture et leur joie collective pour réussir ce Rameau à Caracas.
Jouer Rameau à Caracas
Pour le concert, Bruno Procopio a sélectionné différents ballets que Rameau a destiné à ses opéras. A la manière d’une totalité cohérente, Bruno Procopio recrée à partir de morceaux choisis, un programme dramatique comme une suite de danses. Jouer les ballets sans récitatifs ni airs s’avère édifiant: hors de la continuité d’un opéra, chaque ballet gagne en expressivité. Le chef joue sur les contrastes, les ruptures mais aussi tout ce que dit la musique sans le chant. Il faut nécessairement de la légèreté, de l’invention, une bonne dose de vivacité pour souligner la diversité contrastée et libératrice du cycle ainsi combiné.
Comme nous l’a rappelé Bruno Procopio, au cours des répétitions avec l’Orchestre, : « Les Ballets sont des moments de repos où les danseurs prennent la parole et insufflent au discours une vitalité qui n’est pas associée au fil conducteur du texte de l’opéra. Dans les opéras de Rameau, la musique de danse est si développée et si complexe que le caractère chorégraphique n’est pas forcement évident, se sont des pièces uniques qui jouissent d’une identité à part entière ». Or tout le mérite revient au jeune chef invité de transmettre la pulsation correcte, cette versatilité de l’instant qui sans se diluer, atteint à une expressivité fulgurante. Rameau n’est pas le moindre compositeur baroque français, et c’était tout le défi du jeune chef d’orchestre que de communiquer ce feu ramiste de très haute voltige aux musiciens exposés pour la première fois à l’intensité ramélienne.
Pas facile d’inculquer l’art musical baroque français à travers une musique d’une difficulté exceptionnelle, qui demande des tempos différents et un rapport à l’instrument totalement contraire au jeu postromantique et moderne. Pour se faire, en pédagogue attentionné, le jeune chef a pris soin pendant les répétitions préalables d’expliquer toutes les notions propres à l’interprétation baroque: notion d’inégalité, indication de la tenue d’archet. Jouer vite et précis, articuler et colorer, préserver le détail sans perdre l’architecture …
Au cours du concert, l’art du chef atteint l’excellence: gestuelle précise, d’une étonnante flexibilité articulée, assise rythmique remarquable qui laisse aussi à la main gauche, la possibilité d’accentuer en souplesse la liberté éloquente des arabesques mélodiques.
Déterminé et préparé, Bruno Procopio choisit une combinaison de formes qui dans l’architecture du programme s’avèrent efficaces pour la cohérence et la diversité globale. C’est une vision personnelle qui associe deux volets complémentaires.
« J’avais en tête deux idées principales : tout d’abord créer une unité et présenter un ensemble de danses variés qui forment une symphonie cohérente au sein de chaque opéra. La deuxième idée était de proposer une suite de danses dynamiques, avec les contrastes typiques de la suite à la française, en gardant pour la fin de chaque session une grande danse avec variation comme les Chaconnes ».
Ainsi des Indes Galantes (opéra ballet de 1735), la danse du grand calumet de la paix puis sa Chaconne si engageante… De même, de Castor et Pollux (tragédie de 1737), l’air des athlètes (I), puis la Chaconne du V, l’une de plus belles jamais écrites par Rameau, digne successeur de Lully.
Bruno Procopio n’oublie pas non plus la pure jubilation des danses tendres et nostalgiques tel de Zoroastre, la délicatesse de la contredanse du II, puis Loure et passepied du III: relecture de cette solennité versaillaise lullyste remis au goût rocaille propre à l’époque de Rameau… Et pour commencer ce programme, souhaitons-le fondateur dans l’histoire de l’Orchestre vénézuelien (qui s’ouvre ainsi enfin au baroque), Bruno Procopio a bien raison d’amorcer la concert par l’ouverture de l’extraordinaire Dardanus (Tragédie de 1739)… là aussi la sûreté flexible de la battue assure carrure majestueuse et allant dynamique.
Pour cette carte blanche, le chef franco-brésilien qui vit à Paris, a souhaité retenir ses oeuvres fétiches. Le programme qui aurait pu durer 5 heures, captive en 2 heures de temps. D’autant que la sélection conduit l’auditeur dans un voyage symphonique que la matière d’un seul opéra de Rameau ne peut offrir.
La richesse des morceaux retenus recompose un paysage ramélien flamboyant, d’une effervescence stimulante, bien dans cet esprit festif et brillant du compositeur dont à propos de son premier opéra (Hyppolite et Aricie), Campra aurait déclaré ébahi, admiratif: « Il y a là de la musique pour 10 opéras ».
Fécond, Rameau n’est pourtant jamais bavard, et sa musique jubile à chaque instant par une intelligence de l’orchestration, un génie hallucinant des enchaînements harmoniques. Un raffinement du faire que Bruno Procopio sait transmettre à ses musiciens.
Agilité, opulence, galbe…
Le chef exige brio et profondeur, solennité et légèreté: « les œuvres orchestrales de Rameau demandent une grande virtuosité à tous les pupitres : les cordes ont des parties d’une exigence sans précèdent dans la musique française, les bassons jouent un rôle très important dans le discours, avec ses traits dans le sur-aigu qui demande une grande concentration pour maintenir la bonne intonation. Et je ne parle pas des hautbois qui font paire aux violons, jouent des passages bien plus adaptés aux cordes qu’aux instruments à vent « , précise le jeune maestro.
Soucieux d’une agilité jamais artificielle, le chef obtient des musiciens opulence, galbe, chaleur des accents. « J’ai beaucoup insisté sur les articulations, qui sont en quelque sorte le bien parler de cette musique; sans pouvoir dessiner avec la pointe de sa plume, le peintre-musicien ne pourra jamais composer son tableau. Cette étape du travail est essentielle avant de pouvoir appliquer les grandes couleurs qui permettront de voir l’ensemble avec panache et distance. L’autre point capital était les coups d’archet, j’ai demandé beaucoup de rigueur afin d’obtenir cette diction si naturelle et délectable qui ne peut se dégager que si les archets ciselés sont en phase avec chaque phrasé ».
Que ce Rameau sonne juste; la sonorité est puissante mais jamais épaisse; la clarté des passages harmoniques, confondante de naturel et d’allant; seuls, les plus grands chefs se risquent dans Rameau; Bruno Procopio y excelle dans ce concert symphonique révélateur. Ici c’est en son heure, un certain Gustavo Dudamel qui s’est affirmé; en communion avec un orchestre de tempéraments exigeants qui ne demandent qu’à le suivre… En avril 2011, Bruno Procopio cisèle un Rameau captivant, que l’on avait pas écouté depuis longtemps. L’aventure ne fait que commencer. Visiblement l’entente s’est instaurée entre musiciens et chef.
Bruno Procopio reviendra à Caracas diriger l’orchestre… pour enregistrer ce programme: le disque est annoncé courant 2012.
Caracas. Sala Simón Bolivar (FESNOJV), le 14 avril 2011. Jean-Philippe Rameau: Suites de Danse. Ballets extraits de Dardanus, Castor et Pollux, Zoroastre, Les Indes Galantes… Simón Bolivar Youth Orchestra of Venezuela, Orquesta de la Juventud venezolana, Simón Bolivar. Bruno Procopio, direction.