mercredi 21 mai 2025

Bordeaux. Grand-Théâtre, les 27 et 28 janvier 2010. Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte. Darrell Ang, direction. Laura Scozzi, mise en scène (2/2)

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Compte rendu 2/2

Avouons-le tout de go, la première impression, à la découverte de cette
vision pour le moins particulière du chef-d’œuvre mozartien ne fut pas
des plus favorables. Fervent amoureux de cette œuvre, reconnaissons que
nous avons ressenti de plein fouet cette mise en scène, au premier
abord du moins, comme un sacrilège, même un saccage en règle de la
poésie et de la noblesse contenues dans la musique. Pourtant, une fois
le premier acte passé et les habitudes attendues mises de côté,
l’incrédulité et la consternation font place à… un réel plaisir.


Jeunes talents à suivre…

Le premier soir, deux jeunes chanteurs français débutaient leur
carrière au Grand-Théâtre : Papageno et la Reine de la Nuit. Florian
Sempey, jeune baryton de 22 ans, rafle la mise, en offrant de
l’oiseleur rockeur un portrait étonnamment abouti, comme mûri depuis
bien longtemps. Le timbre, plus sombre qu’à l’accoutumée, éclaire d’une
lumière différente les airs du personnage. Scéniquement, le chanteur
fait preuve d’une aisance rare et semble chez lui sur les planches.
Sophie Demars, à peine plus âgée, dans le rôle de la reine flamboyante,
chante fort bien les notes de son premier air, malgré un trac palpable
– et bien compréhensible –, et s’affirme avec force, tant scénique que
vocale, dans le second air, dont elle donne une exécution en tous
points remarquable de facilité et de naturel. Deux noms à suivre de
très près.
Prise de rôle également pour Nathalie Gaudefroy : sa Pamina est
ravissante, servie par son timbre pur et lumineux, ainsi que par ses
aigus radieux, liquides et adamantins. Une incarnation diaphane,
culminant dans un air superbement intériorisé, murmuré et poignant. Le
Tamino du lituanien Edgaras Montvidas se révèle souvent précautionneux,
souvent engorgé, peu à l’aise avec la tessiture du prince, jusqu’à la
scène des épreuves où il se libère enfin vocalement.
Lors de la seconde soirée, seul l’interprète de Tamino effectuait une
prise de rôle. L’américain Alek Shrader, effectuant ses débuts
européens, apparaît comme une révélation. Le timbre est beau, à la fois
clair et corsé, la musicalité raffinée. Il maîtrise une voix mixte
particulièrement chatoyante de pureté et un legato bien soutenu, ainsi
qu’un médium riche, bien timbré et puissant. Seul le registre aigu,
trop serré, manque d’ampleur et de plénitude. S’il parvenait à le
libérer et à lui donner le même éclat qu’au reste de sa voix, il serait
proche de la perfection. La Pamina de Maria Bengtsson se révèle fort
différente de celle de Nathalie Gaudefroy : dotée d’une voix plus
sombre et plus dramatique, la soprano allemande dresse un portrait plus
complexe de son personnage. Malgré la jupette et la polaire, la
princesse ne se fait jamais oublier, toujours noble et fière. Son air
démontre une technique miraculeusement accomplie jusque dans les
pianissimi les plus aériens, ambassadrice de la grande école de chant
allemande, qui lui fait tendre la main à Tiana Lemnitz et Elisabeth
Grümmer.
Une très grande Pamina. Le Papageno de Thomas Dolié, familier de ce
rôle, est tout simplement idéal. A la fois poétique et joueur, roublard
et tendre, il associe une intense présence scénique à une voix claire
et franche et une belle finesse dans l’interprétation.
Habituée du personnage de la Reine de la Nuit qu’elle a déjà souvent
incarné et défend encore de par le monde comme son rôle fétiche, Aline
Kutan est une technicienne et une musicienne devant laquelle il faut
plier le genou, un second air brillant ne faisant pas oublier une
première aria simplement anthologique. Audiblement parfaitement à son
aise dans cet air redoutable, elle déploie tous les sortilèges de sa
science du chant, sans jamais tomber dans une virtuosité gratuite. La
première partie de l’air, dont tant de chanteuses ne savent que faire
ni comment lui donner vie, est littéralement sculptée, en grande
orfèvre qu’elle est, ciselant chaque mot. Et lorsqu’arrivent enfin les
cascades de vocalises tant attendues, elle les attaque avec facilité et
décontraction, chaque note étant parfaitement émise sur le souffle,
jamais poussée, jusqu’à un contre-fa scintillant, éclatant, fusant
comme un rayon de lumière. A l’instar de sa Pamina, cette femme-là
reste une souveraine, même grisée par les vapeurs du champagne,
toujours d’une tenue aristocratique, de celle qui fait les très grandes
cantatrices.
Le Sarastro de Brindley Sherratt assure sans frémir la tessiture du
grand prêtre, d’une voix profonde et douce à la fois, notamment dans
son second air, d’une tendresse toute paternelle. Un Monostatos
haïssable à souhait, un trio de Dames irrésistible de drôlerie et de
présence scénique tricéphale, un Orateur efficace, deux prêtres
déjantés et sympathiques et trois enfants, incarnés par des filles,
terriblement attachants complètent ce tableau fort homogène.
A la tête d’un Orchestre National Bordeaux-Aquitaine d’un bel équilibre
sonore et d’une transparence de son appréciable, le jeune chef indien
Darrell Ang met sa direction au diapason de la mise en scène, sans
mysticisme ni religiosité, mais avec beaucoup d’énergie et d’allant.
Une belle Flûte Enchantée, décapante, inédite, mais pleine de
bonnes surprises, et dont on ressort le sourire aux lèvres et des
flocons pleins la tête.

Bordeaux. Grand-Théâtre, 27 et 28 janvier 2010. Wolfgang Amadeus Mozart
: Die Zauberflöte
. Livret d’Emmanuel Schikaneder. Avec Pamina :
Nathalie Gaudefroy / Maria Bengtsson ; Tamino : Edgaras Montvidas /
Alek Shrader ; Papageno : Florian Sempey / Thomas Dolié ; La Reine de
la Nuit : Sophie Desmars / Aline Kutan ; Sarastro : Brindley Sherratt ;
Papagena : Natacha Kowalski ; Première Dame : Eve Christophe-Fontana ;
Deuxième Dame : Caroline Fevre ; Troisième Dame : Delphine Haidan ;
L’Orateur : Jean-Manuel Candenot ; Monostatos : Doug Jones : Premier
enfant : Morgane Collomb ; Deuxième enfant : Laura Jarrell ; Troisième
enfant : Niloufar Kia ; Premier homme d’arme : Jy Hyun Kim ; Deuxième
homme d’arme : Cyril Costanzo. Orchestre National Bordeaux-Aquitaine.
Darrell Ang
, direction ; Mise en scène et chorégraphie : Laura Scozzi.
Assistant mise en scène : Carolyn Sittig ; Décors : Natacha Le Guen de
Kerneizon ; Costumes : Jean-Jacques Delmotte ; Lumières : Marie-Hélène
Pinon ; Assistant chorégraphe : Olivier Sferlazza ; Vidéaste : Stéphane
Broc

Illustrations: La Flûte Enchantée au Grand Théâtre de Bordeaux © F.Desmesure 2010

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