A la mémoire des Cathares
Jordi Savall, inlassablement et depuis toujours, visite le monde à la recherche de musiques oubliées. Ce programme composé avec un soin extrême parcours une période allant de 950 à 1463. C’est dire si la variété et la beauté sont au rendez-vous. L’histoire qui nous est comptée peut se comparer à un grandiose Oratorio porteur d’un message humaniste bouleversant. La rigueur historique, garantie par Anne Brenon, Antoni Dalmau, Pilar Jimenez, Manuel Forcano, Francesco Zambon et Sergi Grau, rejoint la qualité de la revitalisation des musiques et des textes. La tragédie Cathare ne doit pas être oubliée et ne le sera plus par tous ceux qui ont assisté à ce prestigieux concert composé d’extrait du superbe livre/CD qui sort ces jours-çi.
Mieux qu’un cours d’histoire
Les extraits choisis avec intelligence et sensibilité retracent toute l’histoire des Catharismes depuis leur développement jusqu’à leur disparition en passant par leur persécution d’une aussi rare cruauté qu’une extrême efficacité. La religion apostolique et romaine n’a pas toléré le développement de cette foi trop emprunte de liberté d’action et de pensée, prônant trop ouvertement le peu de valeur des biens matériels. Issue des cultures du Moyen-Orient le concert s’ouvre par le chant élégiaque et tendre d’instruments rares le kaval et le duduk, sortes de flûtes aux accents moribonds déchirants. Tout l’instrumentarium est ensuite d’une poésie qui ouvre grand l’espace à l’écoute des sons immémoriaux au delà du temps et de l’espace. Montserrat Figuerras susurre ensuite, accompagnée par la variété surprenante d’instruments d’Hespérion XXI le mystère des trois principes kabbalistiques. Le jeu des musiciens est plein d’improvisations et l’écoute complice entre eux fonctionne à merveille. On ne peut rêver plus belle introduction à un voyage spirituel et sensuel qui va changer un peu chaque auditeur.
Plus de 20 musiciens, chanteurs et récitants vont conter et convoquer les douleurs de ce qu’il faut nommer la grande tragédie Cathare. Sans lourdeur, il est possible en moins de deux heures de comprendre bien des choses sur cette aventure spirituelle et humaine et sur la violence et la cruauté dont les hommes jouissent à l’encontre de leurs semblables. Les textes très forts ont été récités en occitan, latin et français. La douceur et la poésie de la langue occitane sont parfaitement comprises et offertes par Georges Besombes. La rigidité et la cruauté assumée de l’église officielle prend tout son terrible sens par la bouche de Réne Zosso. Le petit homme à l’allure rassurante jette autours de lui, sans qu’une miette ne se perde, toute la cruauté contenue dans bulles et lois papale autorisant, le vol, la torture, et la destruction des vies et même du droit à la pensée.
Une richesse musicale incroyable !
Les musiques mériteraient une description de détails qui deviendrait vite fastidieuse et ne rendrait pas compte du charme, à tous les sens du terme, qui diffuse tout au long de ce concert. On reste sans voix devant une telle beauté, une telle intelligence et une telle humanité. Musiciens et chanteurs méritent les plus vivent louanges pour leurs qualités techniques et leur complicité humaine si riche en émotions. Les chants à voix seule valorisent des textes de toute beauté, les polyphonies sont comme une ouverture vers un monde de riche spiritualité. La dimension d’écoute amicale et d’improvisation est constante et c’est la seule chose qui n’est pas perceptible au disque. Car, c’est la chance qui est offerte au public de pouvoir revire le concert et découvrir d’autre admirables moments musicaux et poétiques dans l’enregistrement disponible et qui sera bientôt critiqué sur notre site.
La faiblesse humaine
Une seule chose a un peu gâché l’émotion de ce qui se vit comme un Oratorio parfaitement construit. Il s’agit d’une sonorisation qui empêche la magie dont un tel programme est porteur. Croire adapter ce bijou d’émotion à un vaste lieu en trafiquant le son, grossissant les murmures, aplatissant les dynamiques est discutable. On peut préférer un son pur et lointain à ces sons gris et sales, qui mettent en avant les défauts des voix et les privent de l’effort de projection si capitale en chant lyrique. Ainsi certains moments sont comme endormis en un narcissisme privé qui n’est pas offert au public. La position de Montserrat Figuerras assise avec une lourde cithare sur les genoux lui permet des gestes précieux mais qui nuisent à l’engagement de son chant. C’est Lluís Vilamajó qui souffre le moins du micro. Il arrive à porter avec sa voix une émotion forte et son timbre reste beau et stable même amplifié. Les impeccables chanteurs de la Capella Reial De Catalunya souffrent de ne pouvoir mêler leurs voix naturellement pour créer la polyphonie mystique et sensuelle contenue dans ces pages sublimes. Les micros assèchent et aplatissent le son de ces voix pourtant si superbement assorties.
Il est dommage que les organisateurs du spectacle aient douté de la capacité du public à écouter silencieusement la délicatesse de ce concert dans cette vaste salle.
Notre souhait, probablement trop égoïste, serait de pouvoir bénéficier de ce spectacle rare en un lieu moins vaste, sans cette sonorisation. Car, cet handicap, s’il permet de se souvenir de ce concert comme un événement , ne permet pas d’obtenir les moments de pure magie devinés et que l’écoute des CD offre d’avantage par une prise de son intelligemment spatialisée.
Blagnac. Odyssud, le 11 janvier 2010. Le Royaume oublié. La tragédie Cathare. Conception musicale du projet : Jordi Savall & Montserrat Figueras. Distribution : Montserrat Figueras, chant et cithare ; Pascal Bertin, contre-ténor ; Lluís Vilamajó, ténor ; Furio Zanasi, baryton. La Capella Reial de Cataluya : David Sagastume, Francesc Garrigosa, Jordi Ricart, Daniele Carnovich. Les récitants : Réne Zosso (latin et français), Georges Besombes (occitan). Hespérion XXI : Jordi Savall vièle, lire et rebab ; Andrew Lawrence-King, harpe médiévale et psaltérion ; Dimitri Psonis, santur et morisca ; Hakan Güngör, kanun, Pierre Hamon, flûtes ; Gaguik Mouradian, kamancha ; Haïg Sarikouyoumdjian, ney et duduk ; Jean-Pierre Canihac, cornet ; Nedyalko Nedyalkov, kaval ; Christophe Tellart, vièle à roue et cornemuse ; Béatrice Delpierre, chalémies ; Daniel Lassalle, sacqueboute ; Pedro Estevan & David Mayoral, percussions et cloches. Direction: Jordi Savall.