lundi 5 mai 2025

Biennale Musiques en scèneLyon, du 1er au 24 mars 2012

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Biennale Musiques en scène

Lyon, du 1er au 24 mars 2012

Lyon, Biennale Musiques en Scène. Du 1er au 24 mars 2012. 41 concerts, de Aperghis à Zimmermann, de Combier à Jarrell .

« Liberté, curiosité, modernité », telle est la devise inscrite au fronton de la Biennale lyonnaise de musiques contemporaines . Pour ce 20e anniversaire, illustrant les trois termes de cette République des Arts Sonores, un compositeur invité : Michael Jarrell et 11 de ses partitions, où brille sa Cassandra d’après Eschyle et Christa Wolf….Au milieu des 75 musiciens d’avant-hier à aujourd’hui choisis pour montrer « l’état second » de la création au début de la 2nde décennie 2012.


Vouvoyer les grands artistes ?

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, chantonnait Arthur R. à Charleville….Et vingt ans, ce n’est pas le plus bel âge de la vie, protesta Paul Nizan. Mais enfin, que la Biennale-Grame s’y fasse, elle a 20 ans en 2012 (encore que le décompte soit délicat, parce qu’une Biennale, selon M. de Lapalisse, c’est tous les deux ans, mais il y a des années intermédiaires avec programmation mini festivalière). Bref… allons faire un tour vers le bilan, fût-ce « à l’arrondi » : « 14 éditions, 300.000 entrées, un millier de concerts, spectacles, événements et expositions, 1600 œuvres présentées, 800 compositeurs et artistes, 300 créations, 150 commandes ». En certain haut( ?) lieu, on ajouterait : « chuis content de cette culture-là, c’est du lourd en millions d’euros, et puis du coup y a pus besoin de vouvoyer les grands artistes ».


Un artisanat sans fureur

Ici on préfère souligner « les complicités particulières avec certains des compositeurs invités : Ahmed Essyad, Klaus Huber, Ivo Malec, F.B.Mâche, Salvatore Sciarrino, Thierry de Mey, Rebecca Saunders, Philippe Manoury. Et ensuite, à chaque session, un « artiste associé » : Peter Eötvös (2008), Kaija Saariaho(2010) ». En 2012, c’est Michael Jarrell. Le compositeur suisse vient de passer le cap de la cinquantaine. Pas encore vraiment « un aîné », il est parfaitement reconnu sur la scène internationale : justement assez « jeune » au début pour n’avoir pas eu à liquider ou réinvestir un complexe pour fils embarrassé de Sérialisme et Rigueur. Sans sacrifier, bien sûr, au repentir néo-tonal et post-moderno-romantique… Formé à l’Ecole généreuse de Klaus Huber, il reconnaît en son compatriote helvète un maître principal, porteur d’un humanisme exigeant en expériences, enseignant la noblesse d’un « artisanat » d’ailleurs non « furieux » et sectaire.


Une visite à l’Arrière Pays

M.Jarrell a su tracer son chemin en indépendant des modes, s’octroyant parfois une année de silence compositionnel, ne rejetant pas l’Institution qui le récompensait ou l’accueillait (Villa Medicis, Instituto Svizzero à Rome, Beethovenpreis, Acanthes), acceptant volontiers les Résidences en Orchestre (O.N.L. à Lyon, 21 ans déjà !;) et dans les Festivals (Lucerne, Helsinki, Salsbourg, enseignant à son tour la composition (Vienne, Genève). Comme le rappelle P.Gervasoni, il « a pratiqué la peinture jusqu’à un niveau avancé et s’est parfois inspiré de phénomènes d’origine visuelle », de même qu’il a puisé dans sa culture littéraire, artistique et même scientifique pour « nommer » certains processus (doubles, pluriels, renouvellement biologique, développement linéaire) qui apparaissent dans des titres et des écritures en expérience…Ce classique aventureux s’interrogeant au milieu d’une « work in progress » ne fait-il pas citer en son dossier de presse le début de l’admirable « Arrière-Pays », récit de synthèse entre romantisme et surréalisme par le poète Yves Bonnefoy (dans la si belle collection inventée par Albert Skira, Les Sentiers de la Création) : « J’ai souvent éprouvé un sentiment d’inquiétude, à des carrefours…C’est là que s’ouvrait un pays d’essence plus haute, où j’aurais pu aller vivre et que désormais j’ai perdu. » Plus avant, M.Jarrell ne s’engage-t-il pas, lui aussi, vers « une musique ancienne, chant consubstantiel à la vie, l’écume du temps qui passe, et on sent soudain ici une vérité » ?


Figures absentes

Ce « retour lyonnais »centre la session autour de 11 partitions « jarrelliennes », entre 1993 et 2012. Et c’est dès l’ouverture qu’aura lieu la création – en une « forme » elle aussi prolongeant la tradition d’histoire musicale – d’un concerto pour violoncelle (Jean-Guien Queyras, et l’O.N.L. dirigé par Pascal Rophé), se déroulant en « plusieurs lieux, fondé sur la métamorphose des temps », peut-être réponse – sans sous-titre indiqué – à son récent concerto de violon, « Paysage avec figure absente » (sans double « s », n’est-ce pas le livre de Philippe Jaccottet, autre compatriote qui a quitté son pays de Vaud pour la Drôme provençale ?) : « Quelquefois comme au croisement de nos deux mouvements il m’a semblé deviner, faut-il dire l’immobile foyer de tout mouvement ? ou est-ce déjà trop dire ? Autant se remettre en chemin… » A moins que cette figure absente soit celle des « Images (qui ) restent », une partition pour piano (2003) devenue en « expansion » (le mouvement est fréquent chez M.Jarrell) concerto pour piano qui en 2010 célèbre la mémoire d’un père, « Abschied » (Adieu) ?


Je ne veux pas chanter mon propre chant funèbre

Mais le plus spectaculaire n’est-il dans la reprise de Cassandre, une œuvre de 1994 « pour comédienne, ensemble et électronique », qui prend en relais la tragédie d’Eschyle confiée à une écriture en transposition de Christa Wolf ? La poétesse allemande avait fait de ce lieu fondamental grec (la pièce Agamemnon) un « double » pour le début des années 1980 de la situation en Allemagne de l’Est. Et de la Cassandre mythologique une voix qui sait, et qui « attend » le sacrifice : « Assez de cette vie, disait le personnage d’Eschyle…Ah ! étrangers…ne voyez pas en moi un oiseau qui pépie, effrayé, devant un buisson. Je ne veux pas chanter mon propre thrène. Au soleil, face à sa clarté suprême, j’adresse ma prière. » Jarrell aura donc résisté à l’idée du chant opératique, pour ne laisser à la fille de Priam prisonnière sacrificielle que « la voix et le récit », un monologue intérieur en une « longue coda, à l’intérieur d’un flux de conscience ». L’Ensemble Intercontemporain, dirigé par Susanna Mälkki( chef finlandaise désormais célèbre, qui se consacre beaucoup aux partitions actuelles –( en particulier les opéras de K.Saariaho )-, accompagnera Fanny Ardant, dont on se rappelle qu’elle fut « tardivement » actrice – après des études en Sciences Politiques -, au théâtre avant tout (Racine, Claudel) et en une éblouissante carrière au cinéma (Delvaux, Resnais, Truffaut, Scola, Antonioni… avant de tourner en 2009 son premier film, Cendres et sang)…


Terre et Cendres

Bel aujourd’hui ? Oxymore, certes, que les tragédies contemporaines s’empressent d’illustrer. Mais quoi, c’est la vie, et autant s’y référer ou en tout cas ne pas l’ignorer pour une dédaigneuse tour d’ivoire. C’est ce que semble nous dire l’un des jeunes compositeurs français les plus en vue, Jérôme Combier, 41 ans), dont deux œuvres figurent au programme de la Biennale. Ses Ruins pour orchestre s’appuient sur un livre de photographies (Yves Marchand et Romain Meffre), The Ruins of Detroit, relatant « la mémoire, la destruction, un certain cynisme du système capitaliste, en un contrepoint secret et glissant, comme une confidence faite dans la nuit ». Et il y aura son opéra « Terre et cendres », d’après le roman de l’Afghan Atiq Rahimi (un Prix Goncourt 2008 ensuite transposé au cinéma), qui à travers le bouleversement d’un enfant confronté à la dimension sacrée d’une certaine musique européenne interroge « la foi qu’on peut garder dans la dignité humaine », même devant les atrocités de la guerre. J.Combier, relayant la terrible histoire familiale et symbolique d’un enfant au milieu des meurtres contre sa famille, déploie « l’alternance d’un conte récité, de chants écrits pour un petit nombre de voix et une musique quais orchestrale, étale et épurée, en proie à des soubresauts violents ».


Radicalisme de Beckett

Et certes les « grands » de la musique en recherche du XXe sont là, miroirs de conscience et d’écriture diverses : Dutilleux avec les Métaboles (métamorphoses par… glissements progressifs du plaisir esthétique, ONL, dir.P.Rophé), Berio (Naturale, la voix abrupte d’un chanteur de rues sicilien, dans un concert dirigé par Nicole Corti), B.A.Zimmermann dans Intercommunicazione, « une anti-sonate pour violoncelle et piano), voire le Debussy de La Mer, pour admirer « la dispersion spatiale des timbres » (Orch. Du CNSM Lyon, dir. P.Rundel), et jusqu’au Renaissant anglais Tallis qui multipliait les recherches autour des dizaines de « voix réelles et autonomes », mis en miroir avec un « a6=At, Chant d’amour et de nature », autre « 40 voix et percussion » composé par le musicien mathématicien Robert Pascal (Concert de l’Hostel Dieu, Percussions du CNSM). Cette notion d’Espèces d’espace(s) est au cœur des questions posées par l’opéra de Philippe Hurel d’après l’investigation de Georges Pérec (« l’espace de notre vie n’est ni construit, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise et se courbe ? »)(2 e2m, dir. P.Roullier).Le radicalisme de Samuel Beckett dans Pas Moi est sur écran avec la seule voix-et-bouche d’une comédienne (Anne Ferret).


Le Paradis est verrouillé

Le romantisme allemand est justement sollicité à travers le Nacht und Traûme – von Collin mis en mouvement de temps extasié par Schubert, l’un des plus troublants lieder de Franz – que reprend Richard Barrett, en duo instrumental et son électronique. Et Kleist ressurgit à travers le Nicht ich ( Pas moi) d’Isabel Mundry, pour soprano (Petra Hoffmann, l’Ensemble Recherche et la chorégraphie de J.O.Weinöhl) . Le Théâtre de Marionnettes établissait en 1810 que « Le Paradis est verrouillé ; il nous faut faire autour du monde tout le voyage, et voir si peut-être il n’est pas ouvert, en arrière ». Et Kleist alla voir l’année suivante derrière le miroir du suicide, en compagnie de Henriette Vogel (« Ma Jettchen, ma lumière de vie, , mes prairies et mes vignes, ma vie adorablement douce… » de l’ultime lettre répondant à celle de l’aimée, « mon aube et mon crépuscule, ma forêt, mon saule, ma flûte enchantée, mon navire… »). A l’inverse de l’ironie des « inserts déstabilisateurs, des pensées monomaniaques, des introspections sur écrans » que charrient les Tourbillons du toujours provocateur et décalé Georges Aperghis (texte d’Olivier Cadiot, « récité » par la chanteuse hyper-spécialiste Donatienne Michel-Dansac). Ou en pensant que des textes d’Emmanuel Kant peuvent se « frayer un passage à travers un parcours d’obstacles, avec onze chats et onze propositions d’interactivité et bien d’autres concepts en onze» maîtrisés par le percussionniste Jeean Geoffroy et l’écriture électronique de Bertrand Dubedout coordonnant ces Endless Eleven (Onze sans fin).


Fidélité des groupes régionaux

Les thèmes du double et de ses divisions à l’infini sont repris par Daniel d’Adamo et Thierry Blondeau en « composition croisée » jouée par le Quatuor Bela, tandis que le mythique Quatuor Arditti s’adonne aux délices de la Dichotomie (division des rameaux de la plante en germination, selon Johannes Maria Staud). Des solistissimes de leur instrument – Wilhem Latchoumia au piano, Christophe Desjardins à l’alto, J.G.Queyras et Benjamin Carat au violoncelle, Pascal Contet à l’ accordéon… – jouent dans les expériences d’Ivan Fedele, Pedro Amaral, Marco Stroppa. A côté des Ensembles Internationaux-et/ou Parisiens (Intercontemporain, 2 e 2m, Recherche,…), les groupes régionaux qui ont travaillé dans le cadre réaffirment leur fidèle présence (Ensemble Orchestral Contemporain de Daniel Kawka, Orchestre (F.Pierre) et Classes du CNSMD, Temps Modernes de Jean-Louis Bergerard, Chœur Britten de N.Corti, Percussions-Claviers de Lyon). L’Ecole Italienne (s’il y a…) est particulièrement présente avec Francesca Verunelli, Michele Tadini, Tiziano Manca, Mauro Lanza, Fausto Romitelli,Luca Antignani, Marco Stroppa, les compositeurs extrême-orientaux – avec qui le Grame a des relations privilégiées – sont en nombre, et les « jeunes Français » figurent au tableau d’honneur ( T.Blondeau, F.Bedrossian, R.Cendo, P.Jodlowski, T.Léon,A.Levy, K.Naugelen, F.Narboni, F.Sarhan, F.Yeznikian…). Au total, 19 pays sont représentés chez les compositeurs.


L’art reviendra métamorphosé

En somme une tentative de couronner en 20e anniversaire un effort qui place désormais cette Biennale (et ses intervalles plus modestes en année impaire) parmi les Festivals déterminants dans un paysage français contemporain…aux nombreuses « figures absentes ». C’est ce que le Directeur du Grame, James Giroudon, et le nouveau Délégué Artistique Biennale, le musicologue Damien Pousset, pilotent, peut-être en « états seconds » mais avec lucidité dominante, dans la création et la diffusion. « Comment élaborer du sens à partir de cette masse nébuleuse d’objets so nores en circulation, de noms propres et de références qui constituent désormais notre quotidien ? « , demande D.Pousset, qui raille ensuite : « Le marché aux puces serait-il devenu, en musique comme ailleurs, le référent omniprésent des pratiques artistiques contemporaines ? » Et devant « cette esthétique de l’absorption », au lieu de se scandaliser, sans doute vaut-il mieux admettre que « l’art doit pouvoir dépasser continuellement ses propres limites pour mieux aller braconner en contrées étrangères, il en reviendra métamorphosé, comme s’il était en possession du solvant universel, l’alkahest des alchimistes. » Et de citer en exergue d’éditorial Walter Benjamin : « Ce mouvement a en même temps rendu sensible, dans ce qui disparaissait, une beauté nouvelle. » Alors, « convulsive », prophétisait en ces temps-là André Breton ? dispersée ? recollée ? Tandis que Paul Valéry, navré, publiait une sorte d’avis de décès : « La beauté est une sorte de morte ; la nouveauté, l’intensité, en un mot les valeurs de choc l’ont supplantée. »

Lyon. Biennale Musiques en scène 2012. La Biennale vous offre en 24 jours, 41 concerts, 5 installations, 102 œuvres, 24 créations, et 21 lieux de Rhône-Alpes (principalement dans l’agglomération lyonnaise) bien des sollicitations pour mieux comprendre les états premiers, seconds (et davantage si affinités) de ce que devient la Beauté dans « ce siècle de fer » où l’on conviendra pourtant qu’il fait rarement bon vivre….

Lyon, agglomération et département, Vienne,Valence, Bourg, Saint-Etienne. Du 1er au 24 mars 2012.Concerts, rencontres, installations, week-ends, Journée Take Away, Midis…
Information et réservation : T.04 72 07 37 00 ; www.bmes-lyon.fr

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