jeudi 28 mars 2024

Anvers. Vlaamse Opera, le 19 décembre 2009. Bernstein: Candide. Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera. Y. Pouspourikas, direction. Nigel Lowery, mise en scène.

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Satire pétaradante
Les années 1950 dessinent dans la carrière du Bernstein compositeur, une décennie « miraculeuse ». Le musicien américain réenchante le genre léger et faussement insouciant de la comédie musicale américaine: Trouble à Tahiti (1951), Wonderful Town (1953), West Side Story (1957)… entre ces perles décisives dans l’histoire de Broadway, s’inscrit la composition de Candide, d’après Voltaire, amorcé en 1954, puis complété et achevé simultanément à West Side Story… en 1956.
Nombre de numéros de Candide, en particulier dans la seconde partie, voisinent avec l’esprit de West Side Story, idem pour l’orchestration comprenant percussion et cuivres foisonnants précisément dans chaque final…

A Anvers puis à Gand, le pari du Vlaamse Opera privilégie une carte blanche à un homme de théâtre: Nigel Lowery. Le spectacle visuel n’épargne pas le spectateur en idées délurées, en références à un monde barbare, violent, parfaitement inhumain; à l’actualité de notre planète déréglée où prime concept souverain, l’exploitation de l’homme par l’homme… Nigel Lowery, qui a récemment mis en scène l’opéra de Haydn, Orlando Paladino, dans une vision tout autant « éclatée », s’accorde à la charge satirique que l’opéra de Bernstein, cache sous une apparente bouffonnerie.

Candide, anti héros trop innocent et naïf s’entête à vivre ici bas comme s’il s’agissait du meilleur des mondes. Aveugle aux souffrances et à l’injustice qui frappent ses semblables, il reste étonnamment passif et contemplatif. A Barcelone (où sévit un tremblement de terre… que Voltaire avait vécu avec horreur), à Paris (capitale du sexe et de la prostitution), à Venise (et son casino trompeur ruinant chaque visiteur)… Candide est confronté à la barbarie ordinaire. Même au paradis de l’Eldorado, il sait encore s’émerveiller malgré l’exploitation des indigènes par un autocrate colonialiste…
Chaque épisode du roman flamboyant de Voltaire, est prétexte à une idée scénique facétieuse, décalée, fantasque dont la première scène est la plus réussie: les protagonistes chanteurs (en particulier Pangloss, Candide et Cunéguonde) y paraissent dans un théâtre de marionnettes, auquel il ne manque pas l’âne ni le boeuf de notre crêche traditionnelle: immédiatement, le spectateur est confronté à un théâtre faussement enchanté, illusoirement innocent, dont l’action symbolique, fait le procès de l’humanité.

Le conte philosophique, particulièrement satirique de Voltaire est ainsi respecté: ce que nous voyons jusqu’à la fin de l’opérette comique (comic operetta), dénonce les horreurs les plus ignobles dont l’homme est capable. Et le metteur en scène s’en donne à coeur joie pour illustrer en un livre d’images éclectique, jusqu’à l’indigeste, cette barbarie à l’oeuvre: ballet des cuvettes de wc dans l’épisode parisien, canari colossal et monstrueux poursuivant avec sa fourchette menaçante ses proies humaines, cadavres tombant des cintres pour Barcelone, trafic d’organes commis sur les « gentils » indigènes par un despote hitlérien, marteau volumineux et fracassant d’un juge indigne…

Dommage que tous les personnages convoqués dans cette fresque décapante et bariolée ne soient pas aussi bons acteurs que chanteurs: dans le rôle-titre, Michael Spyres se distingue par l’égalité musicale de sa voix (même s’il reste un rien statique), le ténor s’impose; même conviction pour Graham Valentine: son Panglos est grimaçant et provocateur à souhait; l’acteur n’hésitant pas à développer du personnage, son délire expressionniste, façon cabaret berlinois; quant au Gouverneur, Venderdendur et Ragotsk du ténor Keith Lewis, il nuance son jeu aigre et lubrique avec une subtilité juste. On reste moins séduit par la Cunéguonde de la soprano canadienne Jane Archibald : son fameux air « Glitter and be gay » (n°10), qui exprime l’amertume hystérique de l’héroïne fiancée de Candide, devenue callgirl de luxe à Paris, manque de délire déjanté, d’ivresse contradictoire, de souffle vertigineux… pourtant inscrit dans les vocalises hallucinantes de l’air (écoutez ici ce qu’est capable de réaliser Natalie Dessay pour une vision fragmentaire mais stupéfiante du rôle).

Musicalement, la partition de Bernstein séduit dès l’ouverture, qui condense tous les motifs principaux de l’opéra. Le compositeur réservait-il néanmoins ses meilleurs formules à West Side Story, composé simultanément? Souvent, au fil de la soirée, en particulier dans la seconde partie, les airs s’enchaînent avec peu de caractérisation et une orchestration qui nous paraît systématique, tout au moins répétitive.
Même dans sa version écossaise (en 2 actes, de 1973), l’ouvrage patine, semble faire du sur place, d’autant que la morale de la fable, « il faut cultiver son jardin », déjà écologiste, est comme précipitée, dans le choeur final.

Dans la fosse, le chef Yannis Pouspourikas joue jusqu’au bout, la manière Broadway, insistant sur la puissance des tutti finaux, avec tremplin privilégié pour percussions et cuivres. On regrette souvent un manque de nuances et de subtilité (enchaînement trop expédié dans les climats contrastés de l’Ouverture par exemple), mais l’Orchestre sait parfois montrer une étonnante cohérence et des couleurs justes. De notre point de vue, la phalange n’est pas utilisée à sa juste valeur…

Un examen minutieux de la partition et de sa genèse fait apparaître en réalité, l’engagement de Bernstein (artiste de gauche) pour la dénonciation de tous les pouvoirs autocratiques, contre l’humiliation des opprimés par les puissants, à l’époque du McCarthysme, sévissant à New York dans les années 1950.
Le compositeur a très vite reconnu dans la fable philosophique de Voltaire (1759), la critique de toutes formes d’injustice (y compris divine, comme c’est le cas pour le tremblement de terre de Barcelone), la satire soulignant l’abus des pouvoirs totalitaires… comme cette censure du puritanisme bien pensant devenue morale officielle à l’époque de Bernstein.

A Anvers et à Gand, le pari défendu par l’intendant Aviel Cahn sait mettre en avant tout ce qui fait de l’ouvrage de Bernstein, moins une comédie musicale qu’une satire théâtrale, féroce, mordante. Au moment des fêtes de fin d’année, le spectacle défend une affiche colorée, délirante, visuellement pétaradante. Le spectateur pendant un peu plus de 2 h, en a pour son argent: il en prend plein les yeux, et (re)découvre dans Candide, une performance grinçante, surtout visuelle et scénique. A voir à l’Opéra d’Anvers, jusqu’au 29 décembre 2009, puis à l’Opéra de Gand jusqu’au 17 janvier 2010.

Anvers. Vlaamse Opera, le 19 décembre 2009. Leonard Bernstein: Candide, 1956 (version écossaise en 2 actes, 1973). Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera. Y. Pouspourikas, direction. Nigel Lowery, mise en scène.

Illustrations: Candide de Bernstein au Vlaamse Opera © A Augustijns 2009.
1. Jane Archibald (Cunéguonde)
2. Les chanteurs pendant les répétitions
3. Le tableau final: « il faut cultiver son jardin »

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