À Paris ! entre délire et subtilité
La sélection scrupuleuse fait toute la valeur de ce programme opéré par le violoniste leader des Esprits (Francisco Javier Lupiañez): une volonté de favoriser le brio déluré, l’exquise alliance des timbres (en particulier cette conversation savoureuse des 2 flûtes, traverso et à bec, combinaison expressive si délectable, révélant la verve, mais aussi la poésie voire la profondeur des portraits musicaux de femmes tragiques (Lucrecia, Didon) dans la Sonate en trio de Telemann (TWV 42:C1, destinée au périodique « Der Getreue Music Meister »pour la pratique domestique). Etonnante galerie de figures tragi-comiques ou pochoirs pétaradant, comme les aiment en peinture les amateurs en leurs cabinets secrets, depuis le XVIIème siècle; et brossés à la façon de Fragonard, avec une touche rapide, juste, nerveuse, véritable précipité de théâtre contemporain, riche en syncopes et surenchères collectives (Didon).
Ici le geste libéré, pétillant saisit immédiatement: un feu impétueux qui suclasse à notre avis l’approche plus serrée, moins immédiatement franche et vive des Ombres, autre ensemble certes talentueux, de jeunes musiciens qui ont profité d’une résidence et d’un disque… grâce au soutien Ambronay.
C’est grâce à Telemann et dans son interprétation que les musiciens se sont constitués au Pays Bas. Sa musique contrastée et d’une versatilité périlleuse pour l’interprète autant que délectable pour l’auditeur favorise la recherche spécifique des Esprits Animaux sur l’articulation, l’expressivité, le heurt des humeurs les plus diverses, cette aptitude rare à faire « vibrer les passions », selon leur objet. Pari réussi lors de ce concert aux nombreux obstacles: si la musique est un langage ayant ses accents et ses nuances propres, le discours des Esprits Animaux est savant sans être jamais affecté ni démonstratif.
Ils ont l’appétit musclé et affûté, l’instinct du fauve; mais aussi l’élégance franche et raffiné de mise à Paris, dans les salons de l’aristocratie. L’enchaînement des épisodes si finement caractérisés dans le Rebel final (courante, menuet, bourrée, chaconne… loure, musette, sonate…), démontre un plaisir naturel et partagé dans la musique: une suavité opulente, des accents insolents, une vivacité intacte (le violoncelle pétillant, mordante, parfois acide de Roberto Alonso)… En une instrumentation réinventée qui s’inspire de l’orchestration écrite par Pisendel pour la pièce, chacun des 7 instrumentistes des Esprits Animaux se taille moins la part du lion que celle plus exaltante où toutes les parties déploient une égale partie, entre brio et poésie, dialogue, conversation fluide et colorée.
Tout l’intérêt de leur démarche se situe entre le déluré sans contrainte et la précision d’un système d’effets et de transition qui se fait langage voire théâtre: il faut encore du nerf, du muscle, et du liant pour insuffler la vie et ce coulant entre audace et rondeur pour réussir la juste expression: à 7 voix en dialogue ou à 6, selon les pièces, ces Animaux ont déjà beaucoup d’aplomb ; certes, une verve parfois encore verte, mais une remarquable intensité et un mordant instinctif voire félin que beaucoup d’ensembles constitués ont perdu avec l’habitude.
Ambronay. Tour Dauphine, le 10 septembre 2011. A Paris! Oeuvres de Joseph Bodin de Boismortier, Louis-Antoine Dornel, Georg Philipp Telemann, Michel Corrette, Jean-Féry Rebel. Les Esprits Animaux. Le premier disque des Esprits Animaux(entièrement dédié à Telemann) est déjà en vente pour le festival d’Ambronay 2011. Parution officielle en novembre 2011.