Alban Berg Quartett
La Jeune Fille et la mort
Mezzo
Lundi 25 août 2008 à 11h55
La jeune fille et la mort de Franz Schubert. Documentaire de Bruno Monsaingeon, 1996. 52 mn. Rediffusion.
Jeune fille flamboyante
2008 reste l’année des adieux de la formation légendaire. Bruno Monsaingeon saisit l’alchimie intimisme qui fusionne le jeu des instrumentistes. Dévoilant de l’intérieur, le fonctionnement exemplaire qui fait la légende de l’auguste formation . Ciselure habitée des phrasés et des accents, motricité rythmique fluide et naturelle, comme le souffle d’une respiration, lisibilité de l’architecture interne sont autant de qualités interprétatives qui soulignent la singularité fascinante du Quatuor La Jeune Fille et la mort de Schubert. Le montage soigne l’enchaînement des parties, indique la participation de chaque instrumentiste, assurant grâce à un cadrage anticipé, l’éloquente intervention de chaque musicien.
La répétition des instrumentistes est un grand moment de musique filmée et dévoilée. Le jeune Quatuor Artémis venu à Lübeck tirer bénéfice de la leçon de leurs aînés, assiste à cette séance de travail en guise de masterclass. Et pour éclairer la magie intérieure du second mouvement, Monsaingeon convoque en un montage décidément pertinent, le duo non moins légendaire, Fischer-Dieskau (piano) et son épouse Julia Varady, chantant la mélodie pour voix et piano, qui inspire la pièce: le lied La jeune fille et la mort. Rien de tel pour mieux s’immerger dans les mondes intérieurs du rêveur wanderer. Contemplation, onirisme, ravissement. Le pouvoir de la musique, servie par une image maîtrisée, opère. Un grand docu.
2008, l’année des adieux
Depuis janvier 2008, l’ABQ (Alban Berg Quartett) circule en Europe,
en France et en Belgique, pour sa dernière série de récitals. Il est
passé déjà par Paris au Théâtre des Champs Elysées (mercredi 30 janvier
2008) et puis à Dijon au Duo (samedi 2 février 2008); la série des
concerts dont il est question en mai 2008, est l’ultime adieu d’une
formation légendaire. Evènement incontournable pour amateurs de
chambrisme exceptionnel.
A
Dijon, le Quatuor Alban Berg joue les trois compositeurs qu’il avait
abordé il y a 37 ans, lors de son premier concert viennois: Haydn, Berg
et Beethoven. Le programme met en scène le dernier Haydn dans son Quatuor en sol majeur (1799), contemporain de ses ultimes chefs d’oeuvres (La Création, Les Saisons), dont le Scherzo demeure la pièce la plus inspirée. Même maturité et même extension du cadre formel avec l’Opus 132 de Beethoven, de plus en plus visionnaire et expérimentateur: placé en troisième mouvement, Le chant de reconnaissance évoque l’orchestre dans un climat crépusculaire et automnal. A contrario, le Quatuor opus 3
de Berg est composé par un jeune homme de 25 ans, prêt à s’affranchir
de la tutelle de Schoenberg. En maître du genre, le musicien viennois
fusionne concision structurelle et expressionnisme ardent, dans une
langue atonale.
Les adieux du Quatuor Viennois
Le propre de l’Alban Berg Quartett c’est assurément sa « classe »
viennoise, qui lui permet naturellement d’aborder avec ce panache et
cette subtilité plus qu’enviable, en un même concert, Haydn et
Beethoven, Berg et Schoenberg. La formation depuis sa création (1971),
joue les répertoires classique et moderne, du XVIIIème au XX ème
siècles… La saison 2007-2008 est celle de la dissolution, donc des
adieux, c’est pourquoi, chacun des concerts annoncés, jusqu’au dernier,
est un événement incontournable. Les quatre membres ont pour nom:
Günther Pichler (premier violon), Gerhard Schulz, Isabel Charisius et
Valentin Erben (violoncelliste). Leur équilibre interne acquis au terme
d’une longue, très longue écoute de l’autre, porté par le désir de
l’entente et du partage, s’est exprimé depuis leur fondation au début
des années 1970, à Vienne.
Alchimie des hommes et des instruments
Tout a commencé dans l’écoute du légendaire Konzerthaus Quartett à la
Mozartsaal du Konzerthaus: Pichler s’y est fait une oreille, une
exigence, tout en découvrant, saisi, l’art du « jouer ensemble », au sein
de la formation chambriste la plus classique et la plus noble qui soit.
Puis se furent les conseils du Quatuor LaSalle, collectés à Cincinnati
(1970-1971. Ainsi se lança l’ABQ, (Alban Berg Quartett), composé autour
de Pichler (simultanément konzertmeister du Wiener Philharmoniker), des
trois professeurs de la Musikhochschule de Vienne: Klaus Mätzl, Hatto
Beyerle, Valentin Erben. Leur premier concert se réalise le 5 octobre
1971 dans la petite salle Schubert du Konzerthaus, dans un récital
associant les Viennois, Haydn (opus 77 n°2 en fa majeur), Berg (opus 3)
et Schubert (D 804). Ils reçurent très tôt l’aval de la veuve d’Alban
Berg pour porter son nom, signe d’un engagement indéfectible pour jouer
la musique moderne voire contemporaine. Le style viennois allait encore
s’intensifier au sein de la phalange, et avec lui, cette homogénéité de
la sonorité, avec le renouvellement de deux instrumentistes: Gerhard
Schulz remplace Mätzl, comme second violon en 1978, puis Thomas Kakuska
à l’alto, remplace Beyerle, à partir de 1981. En effet, Schulz, Pichler
et Kakuska furent tous élèves du violoniste du Philharmonique, Franz
Samohyl, lui-même ayant appris son métier du konzertmeister de
l’orchestre, Arnold Rosé. Filiation et continuité là encore, quand à la
mort en 2005 de Thomas Kakuska, c’est son élève, l’altiste Isabel
Charisius qui le remplace. Entre tradition et inovation, les ABQ ont
pris soin aux cotés des oeuvres du répertoire, de créer des oeuvres
nouvelles signées Schnittke, Berio, von Einem… Chacun joue un
instrument particulièrement choisi: Schulz, un Stradivarius 1715;
Charisius, un alto Storioni 1780; Erben, le violoncelle Gofriller 1722,
enfin il revient au premier violon Pichler d’avoir jeter son dévolu sur
un instrument de facture contemporaine, signé Stefan-Peter Greiner
(Bonn). La qualité n’a pas de prix: elle est aussi, surtout, le fruit
d’une alchimie subtile née, ténue, entre quelques hommes de bonne
volonté. Le défi reste de faire durer cette magie collective. Celle des
membres du Quatuor Alban Berg, aura duré de 1971 à 2008, soit 37 ans.
Une carrière somme toute des plus honorables.