lundi 5 mai 2025

Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché, le 16 juillet 2012. Charpentier, David et Jonathas. Pascal Charbonneau, Ana Quintans, Dominique Visse… William Christie, direction. Andreas Homoki, mise en scène

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David et Jonathas de Charpentier

Par notre envoyé spécial Raphaël Dor

La rareté de l’œuvre de Charpentier la place immédiatement comme un des évènements incontournables de l’édition 2012 du Festival d’Aix-en-Provence. Son interprétation est confiée à William Christie, grand habitué du répertoire baroque français, et signataire de l’un des deux seuls enregistrements disponible de l’œuvre.

David et Jonathas est une œuvre particulière, hybride, peu adaptée pour la scène. Il ne s’agit pas d’une tragédie lyrique composée pour la cour mais bien d’une « tragédie biblique », créée pour le Collège des jésuites Louis-le-Grand dont les actes étaient intercalés entre ceux d’une tragédie en latin, Saül, à laquelle elle faisait écho. Ses exigences et ses caractéristiques sont donc très différentes de celles des œuvres scéniques de Lully, ou même de son chef-d’œuvre Médée : pas de prologue à la gloire du roi, pas de ballets, pas de divertissements…

Une intrigue resserrée et plus simple, qui s’appuie sur un épisode du livre de Samuel, dans l’Ancien Testament. Le livret aborde cette relation ambiguë entre David et Jonathas, fils du roi Saül, effrayé à l’idée que celui qui a vaincu Goliath et soutenu par le peuple lui prenne son trône.
La partition a été écrite pour les étudiants du Collège Louis-le-Grand, donc une distribution entièrement masculine, où de jeunes garçons tenaient les rôles de sopranistes. L’ambitus des rôles de David et de Jonathas peut ainsi être assurés par des voix de jeunes garçons, de contre-ténors, de femmes ou bien de hautes-contre dans le cas de David, légèrement plus grave. Dans cette production, William Christie choisit une femme, Ana Quintans, pour jouer le rôle de Jonathas, tandis que David est chanté par le ténor aigu Pascal Charbonneau.


En écho à Saül

Avant même le lever du rideau, l’on s’inquiète de la capacité du jeune chanteur québécois à tenir tous les aigus requis. Et durant la soirée, les craintes se révèleront parfois fondées, mais n’empêcheront jamais d’applaudir une performance réussie. Certes, Pascal Charbonneau fait entendre certains aigus très tendus, à la limite de la rupture, mais possède un timbre d’une clarté magnifique et surtout son interprétation passionnée suscite l’enthousiasme. L’on pourra lui reprocher de chercher à compenser certaines faiblesses vocales, son engagement scénique est total et donne à voir un David à fleur de peau extrêmement émouvant.

Sa plainte à la fin de l’acte V en est bouleversante.
La soprano portugaise Ana Quintans, elle aussi nouvellement projetée sur une si grande scène, se démarque peu en héritant du rôle légèrement effacé de Jonathas mais possède toutes les qualités d’une bonne chanteuse baroque : voix souple et légère, soin des phrasés, diction parfaite…
Neal Davies suscite en revanche des réserves tant sur la qualité du timbre, extrêmement métallique, un peu ingrat, que sur le jeu d’acteur caricatural qui ferait passer les balancements d’émotions du roi Saül pour de la schizophrénie.

Le chef William Christie révèle des qualités égales à un bon vin : il se bonifie avec l’âge. Sa direction devient chaque fois plus vive, plus théâtrale, là où dans l’enregistrement de 1988 il était plus attentif au soin du détail. L’œuvre prend alors vie sous sa baguette, se défait de ses attributs d’oratorio, penche sensiblement vers la véritable tragédie.
Pourtant, l’œuvre tend des pièges à tous ceux qui s’y confrontent, par sa nature tout à fait hybride, destinée à « compléter » une pièce de théâtre, son unique ressort dramatique, sa curieuse alternance de scènes très statiques et d’action, ses récitatifs un peu creux. Difficile pari que de rétablir une construction logique et de rendre tout cela suffisamment vivant. C’est à cette fin que le Prologue où le roi Saül visite la Pythonisse a été placé comme scène intermédiaire entre le troisième et le quatrième acte. Cela a le mérite de faire débuter l’ouvrage sur une situation claire, que l’on comprend graduellement, mais alourdit l’action et fait chuter toute tension en plein milieu de l’œuvre. Glisser ce Prologue juste après le premier acte permettrait peut être une meilleure cohérence dramatique et marquerait un plus grand contraste avec le deuxième acte.

Outre ce défaut de construction, le metteur en scène Andreas Homoki a cherché par tous les moyens à faire vivre ce livret et à l’enrichir au maximum. L’intention est louable, mais le résultat pas toujours convainquant. Ainsi, il décide d’insérer entre chaque scène, lorsque Charpentier écrit un interlude, de petits flash-back pour comprendre l’histoire de cette relation entre David, Jonathas et Saül. On y voit alors les deux protagonistes enfants se lier d’amitié, cette famille recomposée, mais surtout la mort de la femme de Saül causée accidentellement par David et qui expliquerait sa méfiance pour ce dernier. Ce détail a évidemment été inventé de toute pièce par le metteur en scène, mais n’apporte rien à la psychologie des personnages. Passons sur ces petits arrangements qui influent finalement peu sur la direction d’acteurs, qui reste de qualité. Le parallèle avec l’actuel conflit israélo-palestinien est heureusement évité, ainsi que l’accentuation trop vulgaire de l’ambigüité des rapports entre Jonathas et David. L’homosexualité est clairement illustrée, mais garde un caractère naïf et spontané qui n’en fait pas le thème central du livret.
Le défaut majeur de cette mise en scène est certainement son dispositif scénique. Déjà peu esthétique, avec ses immuables tons de gris-marron, il ne parvient pas à éviter le terrible effet « boîte à chaussures ». La boîte peut bien changer ses dimensions à volonté, bouger, se découper, illustrer les sensations des personnages, ceux-ci n’en demeurent pas moins enfermés comme des santons dans une espèce de crèche de fortune. Quel dommage de saboter ainsi tout le travail de ranimation de l’œuvre, pour l’emmurer et la couvrir de poussière !

La production pourtant réunit suffisamment de qualités pour faire oublier ce défaut, qui doit d’ailleurs être nettement amoindri par la captation vidéo faite par Arte et disponible sur son site. La beauté de la partition, sa charge émotionnelle ne doivent faire rater ce spectacle à aucun prix pour les amateurs de musique baroque.

Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché, le 16 juillet 2012. Charpentier, David et Jonathas. Pascal Charbonneau, David ; Ana Quintans, Jonathas ; Neal Davies, Saül ; Frédéric Caton, Achis ; Kresimir Spicer, Joabel ; Dominique Visse, La Pythonisse. Les Arts Florissants. William Christie, direction. Andreas Homoki, mise en scène. Compte rendu rédigé par notre envoyé spécial Raphaël Dor

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