mardi 29 avril 2025

Aix en Provence. Archevêché, le 16 juillet 2011. Verdi: La Traviata. Natalie Dessay… London Symphony Orchestra. Louis Langrée, direction. Jean-François Sivadier, mise en scène

A lire aussi
Traviata sans vertiges

Evoquons non sans regrets l’incohérence de la production en rien subtile ni troublante quand par exemple, tout le mystère de l’amour inspire le climat du I: la rencontre puis les duos entre la courtisane et son jeune prétendant sont pourtant ciselés par un Verdi d’une rare finesse psychologique. Hélas, ici, Natalie Dessay, surexcitée et planante (ou simplement grise: on aura noter qu’elle carburait pendant les deux premiers actes à la vodka), paraît à peine troublée et touchée par la sincérité d’Alfredo… Quand au ténor requis pour le spectacle, que son chant est neutre voire désincarné: la voix manque singulièrement de spasmes, de délires, de transes… pour un jeune épris à en mourir, la tenue de l’américain Charles Castronovo reste continument lisse, voire tristement plate; et le jeu timoré voire timide traverse sans les incarner, les vertiges passionnés du jeune bourgeois. Trac ou surtension liée au direct, le ténor rate même totalement son dernier aigu au début du II. Comme d’ailleurs, Natalie Dessay esquive sa disparition de scène dans le même acte, (exigeant d’Alfredo qu’il l’aime toujours, tout en le quittant définitivement): que cette sortie de scène tombe à plat et sonne… osons le dire, carrément ridicule. On ne croit pas un seul instant au sacrifice que Violetta a décidé alors d’accepter…
La mise en scène s’enlise dès le début dans un fatras théâtral qui ne décolle jamais… dont le concept reste illisible: Jean-François Sivadier avait en son époque marqué les esprits par sa pièce « Italienne avec orchestre » (2004) où il s’agissait déjà de La Traviata mais pendant des répétitions entre musiciens, dans une vision personnelle et décalée, développée non sans humour depuis les coulisses… Avec ses toiles suspendues, son mur de briques, ses rideaux qui divisent la scène, ce jeu d’acteurs plus agités que précis, ces personnages ajoutés (et là encore rien que théâtraux: un jeune directeur d’acteur qui accompagne les chanteurs deci delà, et une femme suivante, couturière ou dame pipi?… dont on comprend en cours d’action qu’il s’agit d’Annina la servante de Traviata), en permanence sur le plateau… l’action n’atteint jamais cet état de grâce que nous avons éprouvé dans maintes productions de l’opéra verdien… seuls de pauvres lustres qui descendent et remontent évoquent un décorum somptuaire, celui du milieu luxueux qui est celui des salons bourgeois de la prostituée parisienne… et ce n’est malheureusement pas la direction si peu raffinée elle aussi du chef Louis Langrée qui élève le niveau: habile certes mais simplement exécutive, souvent étroite et sans vision architecturée précise. L’ennui menace. On veut bien comprendre que dans le mouvement des acteurs, le choix délibéré d’une absence de rideau de scène (d’emblée le spectateur est immergé sur le plateau), que dans ce choix d’un ballet de femmes aux formes généreuses… et d’ailleurs, dans tout le déroulement du III… se glisse un hommage déclaré à la grande et sublime Pina Bausch. Mais toutes ses idées ne font pas l’unité du spectacle de Sivadier. L’effet produit est celui d’une combinaisons de tableaux et d’éléments ajoutés, pas d’un spectacle étonnant, prenant par son fil conducteur.

Scène brouillonne jusqu’au… dernier tableau
Mais revenons à Natalie Dessay: sa Cleopatra à Garnier avait pointé un excès d’expressivité, un jeu forcé chez une actrice certes engagée qui hélas… trépigne trop souvent: force est de constater là encore le même travers: une voix limitée, des aigus de moins en moins tenus (E strano au I), et un style qui en fait définitivement trop (en particulier lors de sa confrontation avec Germont père, quand ce dernier lui demande, – exige, plus exactement-, son sacrifice: renoncer à cet amour indigne au nom de la morale… La chanteuse s’agite, se précipite, … telle une ado hypersensible et extravertie, lolita surexcitée… manquant de facto, la blessure vertigineuse qui accable le personnage. Hélas, la vérité de Violetta, son impuissance mise à nu, son sacrifice, si pudiquement assumé.. peinent à librement s’exprimer ….

Jusqu’au III où le chant plus juste de la femme méprisée par son amant haineux et amer, trouve enfin des accents plus « vrais ». La suite du spectacle confirme le talent plus assuré de la diva française, peu à peu plus mesurée, moins surinvestie: ce qu’elle perd en appui énergétique, s’accomplit inversement en justesse psychologique.
Dans ce spectacle d’une froideur permanente, et finalement brouillonne, même le Germont père de Ludovic Tézier malgré la profondeur émotionnelle de sa prestation, se montre étrangement absent, lointain… pressé et finalement hors de son personnage. La voix est superbe (en particulier à la fin du II lors de son injonction à son fils pour qu’il rejoigne les siens)… mais comme tout le spectacle depuis son début, irrévocablement étrangère… hors de tout trouble. Et pourtant voilà bien un pater familias dépassé par la personnalité de celle qu’il est venu accabler… D’un bout à l’autre, les chanteurs pas vraiment unis sur les planches, semblent des étrangers sur un scène qui ne les concerne pas. Autant dire que le spectacle ne fonctionne pas… jusqu’au dernier tableau où jeu scénique et chant se rencontrent enfin: Natalie Dessay dépouillée de tout artifice, seule en scène, sur un plateau nu chante enfin ce dénuement total d’une Traviata usée, au terme de ses souffrances, illuminée par une lumière intérieure (la promesse de son salut grâce au renoncement qui lui a été imposé): mi Piaf mi Bausch, corps défait et dévitalisé mais âme rayonnante (sauvée), sa lente apothéose, jusqu’au sourire final, s’impose indiscutablement. 15 minutes de magie pure sur un spectacle de plus de 2h, c’est quand même bien maigre.
Une mise en scène qui se cherche tout au long de la soirée, sauf le dernier tableau, et agace par sa froideur scénique, une direction rien que décorative, des chanteurs pas vraiment touchants sauf Dessay pour un final très juste… Aix 2011 nous offre une Traviata longue et inégale malgré le dernier tableau plus convaincant. La magie et la grâce n’étant pas de la partie ou si peu, on sort du spectacle majoritairement déçu et frustré. La notoriété du festival et surtout le prix des places permettent d’espérer mieux et plus réussi pour une prochaine fois. Il est vrai qu’à Aix, ni Verdi, ni Wagner n’y ont été vraiment compris… Seul Mozart à ce jour a trouvé sa place, dans des visions plus abouties et magiciennes que celle de ce soir.

Aix en Provence. Théâtre de l’Archevêché, le 16 juillet 2011. Verdi: La Traviata. Natalie Dessay (Violetta Valéry), Ludovic Tézier (Germont père), Castelnovo (Alfredo)… London Symphony Orchestra. Louis Langrée, direction. Sivadier, mise en scène. En direct sur Arte. A l’affiche du festival d’Aix en Provence 2011, les 20, 22 et 24 juillet 2011.

Derniers articles

CRITIQUE, opéra. MILAN, Teatro alla Scala, le 27 avril 2025. FILIDEI : Il Nome della rosa. K. Linday, L. Meachem, D. Barcellona, C. Vistoli…...

Voilà une création qui fera date. Pour son troisième opus lyrique, Francesco Filidei a frappé fort, grâce à un...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img