Des qualités qui peuvent s’avérer convaincantes voire transcendantes dans le cas d’une partition si investie (autobiographique) dans le cas de Dvorak qui mêle ici la noble tendresse d’un Schumann, la profondeur d’un Bruckner, la vérité désarmante de Brahms.
Révélé dès 1880 puis surtout à Londres (Albert Hall) en mars 1883, il y a donc 130 ans, la cantate sur un texte latin enchante et transporte littéralement le public britannique: Dvorak immédiatement fêté, est donc invité à diriger son oeuvre l’année suivante en mars 1884 pour un tournée… triomphale : de fait la partition reste la plus populaire du compositeur en terre anglaise.
Stabat profane
Le message si humble voire souvent austère, jusqu’à la contrition la plus ténue, comme repliée, qui s’exprime par le choeur initial puis le quatuor vocal (ténor, soprano, basse, mezzo), convoque le sentiment des vanités terrestres : grandeur inaccessible et impénétrable du divin, fragilité et souffrance de la condition humaine. Dès ce mouvement premier, ample de 17 mn, le geste du chef sait exprimer la profonde et grave prière des humanités démunies, impuissantes. C’est l’acte d’une ferveur détruite, saisie par un deuil quasi insoutenable.
Le sublime quatuor vocal qui suit Quis est homo, qui non fleret suit la même simplicité naturelle, ce recueillement qui écarte toute enflure, toute théâtralité pathétique énoncée dès la soprano magnifiquement mesurée.
Contre l’avis du critique souvent mensonger et toujours abusivement partisan (en tout cas antiwagnérien), Hanslick, Herreweghe défend la qualité de l’ouvrage; il souligne l’humilité désarmante de la prière solistique ou collective, non pas outrageusement sensuelle comme le pensait l’ignoble Hanslick, mais sincère et tendre. C’est d’ailleurs du côté des croyants, de l’assemblée populaire et individuelle que nous saisissons la ferveur généreuse de l’ouvrage ; par ailleurs, le chef flamand réussit idéalement le passage mélodique entre voix et instruments au point souvent de surprendre par ce chambrisme étal, sublimement partagé.
Marqué par la mort de leurs 3 jeunes enfants (sur les neuf de la famille Dvorak) entre 1875 et 1877, le compositeur ne trouve la paix intérieure que dans le travail et le secours de la religion. Ainsi s’éteignent Josefa, Ruzena (d’un empoisonnement au phosphore, alors familier dans les foyers car utilisé pour la fabrication des allumettes!), puis Otokar, de la variole, le jour de l’anniversaire de son père (8 septembre 1877).
Organiste actif dès 1874 à Saint-Adalbert de Prague, Dvorak se passionne pour le texte de Jacopo di Todi sur les souffrances de la Mère face au spectacle du Fils sacrifié.
Herreweghe nous laisse écouter l’humanité intense des accents qui en font une oeuvre surtout profane (ce qui choquait tant le pieux Hanslick), mais aussi il éclaire cette âpreté mordante du style dans laquelle le compositeur a entendu l’appel à la réforme liturgique et casser le moule traditionnel palestrinien prônée par la confrérie religieuse qu’il fréquentait alors à Prague.
Scrupuleux, fouillé, disposant d’un plateau vocal homogène (où se distingue la basse, la soprano), Philippe Herrewghe réussit l’élégance et la simplicité d’une partition surtout humaine et sincère. L’alto requis pour le solo Inflammatus et accensus un peu léger manque de trouble imploration: trop jolie et presque trop appliquée voire désincarnée pour un épisode qui exige un dramatisme linguistique plus enflammé justement.
C’est notre seule réserve pour une lecture plutôt cohérente quand certains pourront la juger trop sage.
Antonin Dvorak : Stabat Mater opus 58. Ilse Eerens, Michaela Selinger, Maximilian Schmitt, Florian Boesch. Collegium Vocale Gent, Royal Flemish Philharmonic. Philippe Herreweghe, direction.
1 cd Phi 5 400439 000094. 1h14mn. enregistré en avril 2012.