lundi 5 mai 2025

Montpellier. Le Corum, le 21 juillet 2012. Festival Radio France et Montpellier. Massenet: Thérèse. Nora Gubisch, Etienne Dupuis, Charles Castronovo… Orchestre nat. Montpellier Languedoc Roussillon. Alain Altinoglu, direction

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Enfin Thérèse ressuscite à Montpellier. Superbe révélation et par sa rareté (incompréhensible) sur les scènes lyriques, voici le vrai grand événement de l’année du Centenaire Massenet 2012. Quand l’Opéra de Paris nous affligeait par une Manon indigne, Montpellier créée l’événement en choisissant avec le concours du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, de dévoiler un pur chef d’oeuvre lyrique du début XXè, étrangement méconnu, ciselé par un Massenet tardif, au sommet de son inspiration. Celui dont tant d’élèves ont obtenu le Prix de Rome, se révèle ici.
Au moment où triomphent les véristes avec ce sens si délectable des coups de théâtre, des actions précipitées sans temps morts, l’auteur de Manon et de Thaïs sait renouveler son inspiration en traitant l’Histoire française. Comme Gérôme en peinture, le compositeur qui fut son ami, éblouit d’un bout à l’autre des deux actes courts, par son orchestration colorée et suave, son génie dans la caractérisation orchestrale des situations, son sens du verbe et aussi d’indiscutables trouvailles dramatiques; prenez le trio des protagonistes: certes comme chez les Italiens, voix de femme entre deux hommes, baryton et ténor. Ici, Thérèse offre un superbe rôle aux mezzos actrices et diseuses (à la création Lucy Arbel qui chantait Amnéris et Dalila!), écartelée entre son ancien amant (Armant, ténor) et son époux André (baryton: coeur loyal, noble, lumineux); mais l’intrigue et les noeuds qui lient les personnages gagnent encore en nuance car ses deux hommes s’aiment d’une pure et belle amitié, malgré leur antagonisme politique. A l’époque de la Révolution, surtout à Paris en 1793 (acte II), il ne fait pas bon arborer une douceur suspecte: le climat est à la terreur qui gronde de mesure en mesure…
Dès l’ouverture s’affrontent en vérité deux mondes: la machine à broyer de l’histoire, annonçant le gouffre tragique qui emportera l’héroïne dans la scène finale, tutti syncopés haletants du début de tout l’orchestre, exaltés en une frénésie barbare; et puis, cet appel au rêve, à l’ailleurs, à la paix, que le chant de l’ardente et si douce Thérèse embrase peu à peu (Viens, Armand fuyons vers ce pays lointain...).
Exit ce Massenet que l’on dit dégoulinant, salonard, factice ou décoratif: jaillit et coule dans Thérèse, une vérité émotionnelle rare que son format dense et resserré (l’opéra dure à peine 1 heure) intensifie, saisissant réellement par son intelligence dramatique.
En 1907, Massenet aborde le sujet historique avec une sensibilité nuancée à mille lieues de sa fausse réputation de faiseur grandiloquent et… pompier; à mesure que l’action se déroule et se radicalise, le compositeur brosse avec infiniment de subtilité le profil psychologique des trois protagonistes.


L’amour ou le devoir…

Si l’amant ressuscite non sans finesse ce passé amoureux qui l’a uni à Thérèse, l’époux André brille tout autant par sa virilité généreuse et protectrice, un lion non moins ardent et irrésistiblement aimant; entre l’amour et le devoir, Thérèse doit choisir.
L’écriture orchestrale exprime vertiges et élans de chacun des personnages en particulier la traversée de Thérèse en contrepoint des clameurs révolutionnaires (présence du choeur); de ses effusions tendres (duos avec Armand au I et au II) jusqu’au trouble et à la tension morale qui l’éprouvent, à son sacrifice superbe de la fin et qui en fait l’exacte antithèse de… Carmen: Thérèse meurt par devoir; figure loyale par excellence, droite dans sa vertu conjugale… elle suit l’exemple non moins édifiant de Thaïs (autre grande sacrifiée), tout en contredisant la légèreté et l’insouciance de Manon. De Manon, justement Thérèse est constellé de citations et références: chaque duo avec Armand semble ressusciter l’ardente force du désir du duo de reconquête de Manon à Saint-Sulpice…
Mais Thérèse rejoint aussi une autre héroïne incontournable: Tosca. Même entêtement fier, même détermination ultime assumant son destin tragique, bravant crânement la mort (O mort, ouvre tes bras ! Marchons !).

Massenet saisit aussi par son souci des transitions et des enchaînements (solo de violon entre le premier air seul de Thérèse et l’apparition d’Armand au château de son enfance…); les évocations historiques d’un Versailles fantasmé par le filtre amoureux des deux amants se rappelant leur idylle perdue (le menuet de cour, le menuet d’amour énoncé par Armand, batofilant au son du clavecin présent dans l’orchestre au I).

Cet art si difficile de la continuité et de la cohérence dramatique se dévoile avec une maestrià évidente; les réponses entre épisodes symétriques d’un acte l’autre pourraient être développées davantage (les deux duos Thérèse/Armand), comme la métamorphose de Thérèse d’un acte à l’autre: au début, sa compassion sur le monde reste intacte (pauvres gens, braves gens), mais à la fin, la conscience des événements s’est inversée (foule stupide)… tout cela indique une maîtrise évidente du continuum dramatique.

Dans le cri de Thérèse, cri déchirant d’une femme reconnaissant son époux marchant à l’échafaud se dresse allusivement la prière de Massenet contre la barbarie des temps de guerres, l’inhumanité des foules haineuses. C’est dit-on Lucy Arbel qui demanda à l’auteur de déclamer ses ultimes vers avant de chanter sa dernière étreinte à la mort.

A Montpellier, Nora Gubisch défend par sa présence réelle, la fière et si humaine Thérèse, victime comme tant d’autres, de l’histoire meurtrière. Son « Jour de juin, jour d’été », sommet émotionnel de toute la partition ne manque pas de couleurs comme de sombres vertiges nostalgiques (les accents bouleversants d’une femme impuissante face au destin), malgré des aigus qui manquent parfois de clarté et une diction pas toujours égale. Etienne Dupuis, baryton québécois affirme une musicalité à l’articulation plus naturelle, et le new yorkais Charles Castronovo (Alfredo aixois en 2011) montre son engagement pour le chant français, trouvant de beaux accents dans la prière d’Armand pour le second duo avec Thérèse…

Reste l’Orchestre national de Montpellier Languedoc Roussillon d’une honnête facture, dramatique mais parfois épaisse sous la baguette attentionnée d’Alain Altinoglu. On rêve d’un ensemble sur instruments d’époque comme Les Siècles: retrouver cet art de la couleur et des atmosphères, ce chambrisme si essentiel ici (Thérèse malgré son orchestre wagnérien demeure un ouvrage intimiste), si chers à Massenet serait aujourd’hui lui rendre le plus beau des hommages. Gageons que l’enregistrement qui suit le concert exauce notre attente, avec une attention décuplée sur les nuances, les phrasés, les dynamiques… Pour son centenaire, Massenet mérite bien une nouvelle réévaluation de son écriture comme orchestrateur et dramaturge, comme coloriste sensuel, atmosphériste magicien des situations et de leur caractérisation.
Saluons Montpellier de nous offrir cette somptueuse redécouverte d’autant plus opportune pour le Centenaire Massenet 2012.

Montpellier. Le Corum, le 21 juillet 2012. Jules Massenet: Thérèse, 1907. Version de concert. Nora Gubisch : Thérèse. Charles Castronovo, Armand de Clerval. Etienne Dupuy, André Thorel. François Lis, baryton : Morel. Yves Saelens, ténor : Un Officier. Patrick Bolleire, baryton : Un Officier/Un Officier municipal. Charles Bonnet, soliste de l’Opera Junior. Orchestre et Choeur Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon. Alain Altinoglu, direction. L’enregistrement discographique est annoncé au printemps 2013.


video

voir quelques extraits de Thérèse de Massenet à Montpellier, juillet 2012.

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