Les Noces de Figaro par Jérémie Rhorer
Par notre envoyé spécial Rapahël Dor
Fidèle à sa tradition mozartienne, le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence a une nouvelle fois programmé les Noces de Figaro. Mais le festival a pris depuis quelques années le tournant de productions résolument modernes, qui ont parfois suscité l’ire du public. Cette année, c’est le jeune chef Jérémie Rhorer, venu du baroque, qui donne le ton, avec une distribution tout aussi jeune et un metteur en scène influencé par le cinéma, Richard Brunel.
Nouvelle donne
Modernes, ces Noces le sont assurément, avec leurs costumes tout à fait contemporains et leurs décors de cabinet d’avocat. Modernes, elles le sont aussi par le biais d’une scénographie complexe : des décors mouvants, pivotants, des éclairages variés, crus ou colorés. Modernes, enfin, par une direction d’acteurs vive et spontanée, mettant en valeur le ressort de chaque scène, le burlesque comme le dramatique, le psychologique comme le poétique.
L’intelligence du metteur en scène Richard Brunel n’applique à aucun moment la transposition comme un dogme, comme une vision unilatérale de l’œuvre. Le Comte est ici avocat, pour le compte duquel tous les autres personnages, hormis la Comtesse, travaillent. La hiérarchie se substitue donc habilement aux différences de classes sociales, les rapports entre les personnages paraissent plus clairs, mieux définis. Le page devient stagiaire, Barbarina secrétaire. La chambre de Suzanna et Figaro, située entre les bureaux et les appartements du Comte, retrouve tout son caractère ambigu. Les frasques du Comte, un représentant de l’ordre et de la justice – ce qui est déjà son rôle chez Beaumarchais, en sa qualité de corrégidor – paraissent encore plus condamnables.
La rare alchimie de tous ces éléments, un angle de vue pertinent, une vivacité ainsi qu’un naturel dans la réalisation, a achevé de convaincre le public aixois pourtant plutôt conservateur.
On aurait pu espérer qu’à l’instar de la mise en scène, la direction musicale ose des partis pris francs et originaux. Ce n’est pourtant pas dans les habitudes de Jérémie Rhorer, qui livre une interprétation équilibrée et théâtrale, mais qui manque sans doute de l’audace de certains de ses maîtres « baroqueux ». La réserve s’arrêtera là, et l’on préfèrera louer l’intelligence d’une direction qui parvient à concilier la mise en valeur de l’écriture musicale pure et l’efficacité dramatique. La clarté de l’orchestre, l’équilibre entre les chanteurs ainsi qu’entre la fosse et le plateau, révèlent toutes les beautés de la partition.
Le Nozze di Suzanna
Le plateau vocal, en revanche, s’il ne possède aucune faiblesse majeure, pourra décevoir quelques fois. L’on pense notamment au couple du Comte et de la Comtesse, si important dans l’œuvre – et particulièrement dans cette mise en scène – malheureusement interprété de façon un peu plate. Paulo Szot, en premier lieu, incarne un joli Comte mais manque du charisme et de l’autorité naturelle pour convaincre entièrement. Quant à la Comtesse de Malin Byström, malgré une lecture du rôle originale qui donne à voir une jeune femme pleine de verve et d’optimisme, c’est l’interprétation vocale qui laissera quelques réserves. La soprano suédoise remplit effectivement très bien le contrat, mais son timbre est un peu quelconque, manque d’élégance, et son incarnation est très peu frémissante.
Parfois, lorsque la Suzanna se révèle plus éblouissante que le Figaro, c’est celle-ci qui semble prendre le dessus dans le couple, et même dans tout l’opéra. C’est ce qu’il se produit ici grâce à l’incroyable flamme de Patricia Petibon qui donnerait envie de renommer cette production Le Nozze di Suzanna. Après un passage remarqué en Donna Anna à l’Opéra Bastille qui l’a jeté dans la cour des grandes sopranos françaises, elle revient au rôle plus modeste de Suzanna mais y fait de véritables étincelles. L’investissement scénique, l’énergie, la subtilité, la beauté du chant, des phrasés, de ces sons émis sans vibrer et progressivement élargis : tout en elle achève de séduire. Son compagnon Kyle Ketelsen semble même parfois éclipsé, mais ses talents d’acteur lui assurent tout de même une très belle réussite. Kate Lindsey se démarque également avec son Chérubino très sensuel et charmeur, porté par un timbre d’une beauté rare, rond et soyeux, tout en finesse.
Tous les second rôles sont solidement campés, et l’on retiendra particulièrement la réjouissante Anna Maria Panzarella en Marcellina, rôle qu’elle connaît fort bien, et le Bartolo assez nuancé mais puissant de Mario Luperi.
Rarement l’on a senti que les Noces avaient été si bien comprises, repensées avec autant d’intelligence et exécutées avec une telle efficacité. Un spectacle digne de la célébrité du festival d’Aix-en-Provence, et qui restera certainement dans les mémoires. Par chance, sa captation vidéo le rend disponible pendant encore trois mois sur le site d’Arte live web.
Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché, le 17 juillet 2012. Mozart, Les Noces de Figaro. Paulo Szot, Le Comte ; Malin Byström, La Comtesse ; Patricia Petibon, Suzanna ; Kyle Ketelsen, Figaro ; Kate Lindsey, Cherubino ; Anna Maria Panzarella, Marcellina ; Mario Luperi, Bartolo. Le Cercle de l’Harmonie. Jérémie Rhorer, direction. Richard Brunel, mise en scène.
Compte rendu rédigé par notre envoyé spécial Raphaël Dor.