Voilà un excellent panorama de la musique sacrée à Versailles, celle qui fut jouée à la Chapelle Royale actuelle depuis 1710, mais aussi toutes les liturgies et pièces paraliturgiques depuis la fin du XVIè, et jusqu’au plein XVIIè siècle, de rigueur à la Cour de France… C’est surtout un aperçu des champs explorés et défendus avec quel engagement stylistique par le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), qui depuis sa création en 1987 n’a cessé de former les jeunes chanteurs au sein de la Maîtrise des jeunes voix, pages et chantres, certains devenus par un travail assidu sur le temps, quelques uns des grands chanteurs français les plus intéressants, du Baroque au Romantisme…
En 1991, Olivier Schneebeli dirige l’effectif avec un sens aigu du phrasé et des couleurs; tout cela s’entend ici à travers le florilège composé de prises live pour la plupart, réalisées lors des concerts importants et Grandes Journées à Versailles, qui ont rythmé la vie musicale du Centre. Voilà donc 20 ans que Les Pages et les Chantres de la Chapelle déchiffrent et se passionnent pour la défense d’un répertoire oublié qui dans le cadre du château historique, prend tout son sens; et dans la spatialité retrouvée de la Chapelle, gagne une puissance évocatoire inégalée.
Il y a bien sûr les premiers fleurons qui exigent intelligibilité du texte et flexibilité de la ligne vocale dans le CD1 (où figure à côté des psaumes et motets de Claude Lejeune mort en 1600, le Te Deum d’Eustache Du Caurroy (décédé en 1609): déjà se distinguent ici (prise de 2010) un sens du verbe et l’exigence d’une sonorité collective homogène et dramatiquement caractérisée.
Lisibilité des vocaux étagés, relief des solistes très en avant, le CD2 est tout aussi passionnant; il rend compte du travail des chanteurs apprentis en un formidable tremplin stylistiquement impressionnant, depuis la Missa duobus choris de Nicolas Formé, les Litanies de la Vierge d’Etienne Moulinié, les motets de Guillaume Bouzignac… triptyque de compositeurs préludant à l’incontournable massif du plus français des italiens à la Cour de Louis XIV, Lully; son Miserere exprime toute la pompe aérée d’un style grandiose et dramatique qui se rêvait déjà européen.
Pour nous le dernier cd est le plus emblématique du travail des Pages et Chantres de la Chapelle, en particulier les deux derniers opus ci après commentés. CD3. Superbe majesté du Nisi Dominus de Henry Du Mont: la prise réalisé en 1993 déjà soit il y a presque 20 ans souligne l’excellence stylistique des interprètes et des options vocales historiques défendues avec fermeté et flexibilité (les voix mâles typées et colorées dont l’excellent Howard Crook, auxquelles s’associe le soprano enfant). On ne peut guère imaginer à ce jour un abandon plein de grâce et de solennité jamais empesée plus maîtrisé que dans cette gravure à inscrire parmi les meilleures réalisations versaillaises des Pages et des Chantres de la Chapelle Royale, accompagnés par Musica Æterna (Peter Zajlicek, direction).
Autre langueur funèbre avec voix de femme pour le dessus dans le De Profundis clamavi de Pierre Robert (live de 2008 avec Musica Florea et Marek Stryncl, direction): la déploration collective et individuelle dessine le plus saisissant des momuments dédiés au renoncement obligé… la prise caractérise précisément l’étagement des pupitres, leur dialogue spatialisé offrant surtout outre l’arabesque planante des voix, une célébration qui tourne admirablement dans l’espace. Même individualisation des ferveurs solistisantes grâce à l’implication mordante et fluide des excellents Robert Gretchell, Jean-François Novelli, Alain Buet et Arnaud Richard entre autres.
La pièce maîtresse demeure l’époustouflant Super flumina Babylonis H171 de Marc Antoine Charpentier ici grand faiseur de messe somptuaire: élégantissime, inspirée, mais sans solennité; cette épure qui le distingue de tous ces contemporains et prédécesseurs, confirme un goût pour le recueillement mesuré (prise lors des Grandes Journées 2004).
Tota pulchra es de Campra (à 2 voix) prépare les pages pour le Laudate Dominum de Nicolas Bernier qui exige de toutes les voix de la maîtrise des jeunes chanteurs (prise de 2010); les choeurs sont assurés mais la tenue de certains jeunes solistes n’évite ni les sons déchirés ni les aigus criés à peine couverts…
