mardi 24 juin 2025

Paris. Opéra Bastille, le 24 juin 2012. Richard Strauss : Arabella. Renée Fleming, Michael Volle… Philippe Jordan, direction.

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Straussienne idéale, de La Maréchale du Chevalier à la rose, à la comtesse Madeleine dans Cappricio-, la soprano américaine Renée Fleming, chante Arabella à l’Opéra Bastille, comédie néo viennoise créée à Dresde en 1933.

C’est comme le futur Capriccio (1942), une conversation en musique vécue depuis le regard d’un personnage féminin central; un mélodrame que la musique de Strauss élève en pastiche élégantissime néo mozartien.
Fin dramaturge, le poète Hofmannsthal signe ici son dernier livret d’opéra: il ne verra pas son texte crée scéniquement (il meurt en 1929). Arabella est créé, quatre années plus tard, à Dresde en 1933.

Au cœur du sujet, le miracle amoureux, la rédemption ultime née d’une rencontre improbable. Comme dans Ariadne (sauvée par Bacchus), la jeune comtesse Arabella attend l’élu de son cœur, non pas celui parmi les nombreux soupirants qu’elle doit choisir, mais plutôt un inconnu, sorte de Lohengrin tombé du ciel… qui la choisit, elle. Et c’est Mandryka, jeune fortuné slavon, veuf aussi après deux ans d’un premier mariage, qui se présente à elle.


Comédie et profondeur

La cour assidue que le jeune homme réalise aussitôt est doublement favorisée: par sa fortune car les parents d’Arabella sont ruinés; au point de ne pouvoir élever leur deuxième fille (la cadette Zdenka) que l’on habille en garçon (et qui s’appelle Zdenko); par le père même d’Arabella qui adresse à ce parti des plus intéressants, la photo de sa fille Arabella, pensant appâter le gros poisson.

L’intrigue tient du boulevard: union improbable entre une aristocrate ruinée et un jeune rentier sans titre; choc de deux cultures: la première empoisonnée par les convenances de façade, par les galanteries futiles qui font de la bonne société viennoise, un monde fini condamné à disparaître. Le second, est cet air frais, demi paysan mais un sang neuf, prêt à fonder une nouvelle dynastie; il inaugure une nouvel ère: d’un côté des manières sophistiquées, si vaines et stériles; de l’autre, un être à peine dégrossi, brut en quelque sorte dont la volonté et la sincérité émotionnelle saisissent immédiatement la jeune femme romantique : cet étranger aux manières exotiques l’enchantent totalement.

Strauss et Hofmannsthal ont été témoins de la chute de l’Empire : toute une civilisation s’est effondrée: ils ont conçu en un binôme aussi miraculeux que celui de Mozart/Da Ponte, un nouveau théatre lyrique d’une invention formelle constante: Le chevalier à la rose (1911), pure comédie déjà, puis La Femme sans ombre dont l’orchestre flamboyant (celui de la symphonie alpestre) dit la violence et la barbarie de la guerre (1914-1918); c’est l’opéra le plus fantastique et le plus fracassant jamais crée au lendemain de la première guerre.


Propre aux années 1930, Arabella véhicule un postromantisme qui semble désuet
, d’autant plus anachronique que son élégance viennoise contredit les tensions politiques qui aboutiront à la catastrophe que l’on sait. Les nombreuses valses à la fois éléments formellement structurants et
citations de la Vienne artistique XIXè siècle puisque le drame se situe
en 1860, nourrissent un style classicisant qui se réfère explicitement au monde d’hier. La pure fantaisie, la légèreté et la pétillance submergent l’action souvent anecdotique; même si la justesse poétique du texte de Hofmannsthal est d’une rare exigence et permet à l’exposition et à la formulation des thèmes moteurs, de conserver une finesse toujours actuelle.

direction élégantissime

Le chef Philippe Jordan confirme ses affinités avec le symphonisme straussien; il a d’ailleurs enregistré avec l’Orchestre de l’Opéra parisien, une excellente version de l’Alpestre (R. Strauss: Symphonie Alpestre par Philippe Jordan, Naïve). Maître des couleurs, d’une transparence permanente sachant sculpter la prodigieuse orchestration d’une partition littéralement flamboyante et chambriste, le chef déploie une
maîtrise captivante du début à la fin: l’équilibre entres harmonie et cordes, percussions et cuivres; le raffinement des alliages de timbres (cordes et cors, ceux ci détachés des autres cuivres et placés derrière les violons à gauche du chef) déploient une palette miroitante, instrumentalement passionnante.
Souplesse, hédonisme naturel, surtout mesure et clarté, le maestro étire la pâte orchestrale, éclairant ses gouffres nostalgiques, sa langueur extatique; il souligne et la verve de la comédie et la subtilité des cœurs qui finissent pas se dévoiler et se reconnaître ; entre profondeur émotionnelle et aussi éclats plus légers qui retrouvent la grâce du Chevalier à la rose (référence cultivée selon le voeu des auteurs, Strauss et Hofmannsthal), la direction balance avec intelligence, offrant toutes les clés d’un ouvrage plus ambivalent qu’il n’y paraît: la relation des deux sœurs, les duos (serments amoureux puis retrouvailles d’Arabella et de Mandryka après la résolution du quiproquo…), sont magnifiquement incarnés… grâce aussi à la finesse des solistes présents, acteurs volubiles et aussi diseurs qui rétablissent le principe d’une conversation en musique.

Elle n’a plus l’âge du rôle mais sa voix seule enchante par la suavité du legato, le velours du timbre et une musicalité jamais prise en défaut; reine du bal de ce mardi gras où tout doit s’accomplir, Renée Fleming poursuit sa carrière parisienne avec l’intelligence et ce perfectionnisme qui la distinguent entre les plus grandes divas actuelles. Elle n’a pas de rivale à ce jour et comme Madeleine dans un Capriccio anthologique présenté en 2006 au Palais Garnier, spectacle événement de la fin de l’ère Gall et repris en 2011,
la cantatrice marque le profil d’Arabella avec une grâce constante, entre suprême dignité et surtout pureté émotionnelle qui sait s’ouvrir à l’étranger, l’inconnu, l’amour … Mandryka de charme,
Michel Volle convainc lui-aussi en un personnage qui souvent est porté à la caricature: trop de productions et d’artistes accusent les traits du paysan bourru, du jeune héritier rustique, s’inscrivant à défaut dans le monde des élégances mondaines… Rien de tel avec le baryton
germanique qui est aussi un fin wagnérien : sa distinction naturelle brosse un portrait surtout lyrique et passionné du fiancé d’Arabella et même dans le quiproquo qui semble tout emporter, la finesse et la mesure là encore évitent tout dérapage bouffon.

Rien à dire aux seconds rôles qui ferment le quatuor principal: Matteo présent de Joseph Kaiser; et belle Zdenka/Zdenko de Julia Kleiter (qui a chanté le rôle, avec Renée Fleming à Zurich en 2007) dont la franchise vocale sert le profil d’une jeune âme ardente et passionnée: travestie pendant tout le premier acte, elle souffre par frustration de ne pas vivre librement sa féminité: obligée de paraître en garçon pendant toute l’action ou presque, Zdenka doit consentir à aider sa soeur qui elle, ne sait choisir entre une myriade de prétendants…
certes les uns plus superficiels que les autres.

Pour le reste, la réalisation visuelle et scénique ne suscite aucune critique; l’esthétisme des décors: d’immenses lambris patinés citent la Vienne impériale … passablement défraîchie. Plus intéressante, l’idée des pans de mur pivotant sur eux-mêmes, ouvrant sur un second plan, méritait d’être approfondie en cours d’action. Ils illustrent l’artificialité d’une société hypocrite faite d’apparences et de mensonges. (d’où les immenses photographies des façades des immeubles viennois fin de siècle)… Ils ouvrent l’écrin familial, confiné/décadent sur l’extérieur et permet la rencontre entre Arabella et Mandryka; dommage cependant qu’au moment du dernier duo amoureux, quand Arabella offre ce verre d’eau fraîche à son aimé en signe d’engagement final, tous les lambris ne pivotent pas pour exhiber les panneaux d’argent miroitant; ce scintillement eut exprimé et les retrouvailles des acteurs et par écho, l’activité de l’orchestre dans la fosse… qui est alors des plus irisées et des plus scintillantes. Production très cohérente. A voir évidemment jusqu’au 10 juillet 2012.

Richard Strauss
Arabella, 1933

Philippe Jordan, direction
Marco Arturo Marelli, mise en scène

Paris, Opéra Bastille, jusqu’au 10 juillet 2012. Réserver votre place sur le site de l’Opéra national de Paris

Paris. Opéra-Bastille, le 24 juin 2012. Richard Strauss (1864-1949) : Arabella, comédie lyrique en trois actes sur un livret de Hugo von Hofmannsthal. Avec : Renée Fleming, Arabella ; Julia Kleiter, Zdenka ; Michael Volle, Mandryka ; Kurt Rydl, Graf Waldner ; Doris Soffel, Adelaide ; Joseph Kaiser, Matteo ; Eric Huchet, Graf Elemer ; Edwin Crossley Mercer, Graf Dominik ; Thomas Dear, Graf Lamoral ; Iride Martinez, Die Fiakermilli ; Irène Friedli, Kartenaufschlägerin ; Istvan Szecsi, Welko ; Bernard Bouillon, Djura ; Gérard, Grobman Jankel; Ralf Rachbauer, Ein Zimmerkellner ; Slawomir Szychowiak, Daejin Bang, Shin Jae Kim, trois serviteurs. Chœur de l’Opéra National de Paris, chef de chœur : Patrick marie Aubert. Orchestre de l’Opéra National de Paris, direction : Philippe Jordan.
Mise en scène et décors : Marco Arturo Marelli ; Costumes : Dagmar Niefind ; Lumières : Friedrich Eggert.

Symphonie alpestre de Strauss par Pahilippe Jordan
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