mercredi 14 mai 2025

Catherine Lorent: Florent Schmitt (1870-1958)Bleu Nuit éditeur, collection horizons

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Complexe, atypique, polémiste affûté (comme
fine lame de la critique musicale entre autres), esprit incisif et
mordant (à l’humour cinglant et tapageur cultivant la boutade et la
provocation), brillant autant qu’anticonformiste, Florent Schmitt
(1870-1958) est l’un des tempéraments romantiques et postromantiques les
plus intéressants à la charnière des XIXè et XXè siècles.
L’auteure voyage en terres schmittiennes depuis longtemps, s’intéressant
avant bon nombre et à révéler les vrais rapports du compositeur avec le
régime de Vichy; et à souligner un thème récurrent dans une oeuvre
plurielle, l’orientalisme vécu sur le terrain mais aussi imaginaire
cultivé par un esprit voyageur, déjà très actif dès son Prix de Rome et
l’époque du séjour romain… de fait, sur les routes vers l’orient,
Schmitt rejoint Rome par les chemins de traverse, découvrant l’Espagne
et l’Afrique du Nord (1902), jusqu’à la Grèce et la Turquie(1903)!

Anticonformiste et dyonisiaque

Le jeune lorrain affirme très tôt sa nature sensuelle et
dyonisiaque qui n’a rien à envier au Debussy de Prélude à l’Après midi
d’un faune, au Ravel de Daphnis. Du reste quand Schmitt remporte le Prix
de Rome (avec sa remarquable cantate Sémiramis, 1900), Ravel est recalé
(c’est la première fois qu’il se présente, prélude à une série
malheureuse qui suscitera bientôt fracas et scandale dans l’histoire du
Prix).
Schmitt est un compositeur nourri auprès de la muse voyageuse qui envoie
alors depuis Rome de nombreuses et très riches partitions nouvelles
d’un caractère bien trempé dont l’exubérant et flamboyant Psaume XLVII
(1906).
Rien n’est mis de côté dans cet opus qui présente une passionnante
synthèse sur la vie, la carrière et surtout l’oeuvre de Florent Schmitt;
sa personnalité si déconcertante (« facettes et facéties d’un
anticonformiste »); son oeuvre de jeunesse tel un Titan inspiré par
l’expression dynosiaque auteur de plusieurs chefs d’oeuvres entre 1905
et 1925: Psaume XLVII, La Tragédie de Salomé (1907: prélude au Sacre de
Stravinsky qui tenait l’oeuvre de Schmitt comme un chef-d’oeuvre
absolu), le Quintette pour cordes et piano (1908, dédié à son maître
Fauré) … si admiré de Dukas.
Abonné désormais aux fresques orientalisantes, Schmitt compose dans le
sillon tracé par La Tragédie de Salomé, Antoine et Cléopâtre (1920,
partition chorégraphique financée par Ida Rubinstein); Salammbô d’après
Flaubert (1925)… et l’ultime oeuvre, Oriane et le prince d’amour
(1934); d’ailleurs, la fascination de l’Orient est longuement analysée,
et sa présence et ses formes dans l’oeuvre Schmittienne, parfaitement
exposées. En particulier, ses souvenirs vécus à Constantinople dont le
défilé devant le sultan, transposé dans deux oeuvres: Sélamlik puis le
Psaume déjà cité. Doué d’un orientalisme de métissages, surtout
symphonique et hautement dramatique, Schmitt s’illustre sur la scène
comme en peinture, s’affirme le peintre d’histoire Gérôme, lui aussi
fasciné par la couleur et les mythes de l’Orient.
Dans ce panorama complet, le Schmitt officiel (particulièrement célébré à
la Belle Epoque et pendant l’entre Deux guerres, de 1926 à 1939); le
critique acerbe ou lyrique, toujours hautement passionné (écrivant
successivement de 1912 à 1939, pour les périodiques : La France, Le
Courrier musical, La Revue de France, Le Temps) sont largement évoqués;
le lecteur retire un réel bénéfice du dernier chapitre: les articles et
textes de Schmitt sur ses confrères et contemporains éclairent la
période et les esthétiques en présence d’un regard riche en découvertes.
Sa plume acérée parfois violente n’épargne ni les auteurs remâchés (Thomas, Wagner, Tchaïkvoski…) ni le goût du public trop « passif » et suiveur, ni les usages des cercles parisiens (comme quitter un spectacle avant la fin…); mais lorsque le défenseur de la musique française et contemporaine se passionne pour un style, sa sincérité redouble d’arguments en une écriture toujours très juste: Stravinsky, Fauré, Chabrier, Hahn, Debussy trouvent ainsi grâce à ses yeux.

Et pour fermer définitivement le dossier Schmitt au sujet de ses
allégeances supposées au régime de Vichy
, l’auteure apporte toute la
lumière sur les actes réels d’un compositeur franco-français, devenu de
fait, pilier de l’école symphonique française, qui tout en ne
s’impliquant pas contre l’occupant poursuit ses activités de compositeur
officiel pendant la guerre, participant surtout à des événements au
sens équivoque voire compromettant, tel, entre autres, fin novembre
1941, ce voyage à Vienne dans l’Autriche annexée, pour le 150è
anniversaire de la naissance de Mozart… (manifestation décidée à
l’initiative de Goebbels et à laquelle participent également Honegger,
Rouché, …). Face à l’Occupation, fallait-il partir et fuir, ou
continuer une oeuvre amorcée depuis des années? C’est là une question
délicate qui se pose aussi pour Jacques Rouché ou Max d’Ollone,
respectivement directeurs de l’Opéra de Paris et de l’Opéra-Comique. Les
choses se gâtent davantage à l’évocation des activités de Florent
Schmitt au sein de la section artistique « Collaboration », antenne
favorisant la musique française à l’époque du gouvernement de Vichy et
qui n’avait pas, certes, de rôle politique… Présidée par Max d’Ollone,
la section avait aussi comme président d’honneur, Florent Schmitt. Le
compositeur sommé de s’expliquer au moment de la Libération, écopera
d’une année d’interdiction de jouer, faire jouer, éditer… toutes ses
oeuvres. Contrairement à ce qui est dit, il ne fut pas condamné à
l’indignité nationale mais bien lavé de tout soupçon par le commissaire
du gouvernement qui classa son dossier « sans suite ».
Outre les actes de l’homme en son temps, l’oeuvre du compositeur
favorise aujourd’hui sa juste redécouverte: l’octogénaire comme inspiré
par une nouvelle jeunesse compose encore et toujours: sa 2è symphonie
(1958) est l’ultime offrande musicale d’une personnalité indiscutable et
incontournable pour l’histoire de la musique française des XIXè et XXè
siècle, comme peuvent l’être Debussy ou Ravel. Il est temps de réévaluer à son exacte valeur, l’oeuvre de Florent Schmitt. Lecture indispensable.

Catherine Lorent: Florent Schmitt. Bleu Nuit éditeur. Collection horizons. 20 euros. ISBN: 978 2 35884 016 3. 176 pages.

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