lundi 5 mai 2025

Versailles. Chapelle Royale, le 5 avril 2012. Alessandro Striggio: Messe « Missa sopra Ecco si beato giorno » à quarante voix… Le Concert Spirituel, direction : Hervé Niquet

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compte rendu, concert, Versailles

Messe à 40 voix de Striggio

par notre envoyée spéciale Monique Parmentier

L’été dernier, lorsque le Concert Spirituel était venu recréer au
festival de Sablé (ainsi qu’à celui de la Chaise -Dieu) des œuvres
monumentales, une messe et un motet à 40 voix, d’Alessandro Striggio, –
compositeur d’origine mantouanne de la seconde partie du XVIe siècle -,
nous avions été frappés par le bouillonnement intense de
l’interprétation que nous en avait proposé cet ensemble. Jamais la
fantasmagorie de la Renaissance, ne nous avait semblé aussi folle. Mais
avec la maturité, le concert donné ce 5 avril à la Chapelle Royale par
les mêmes, a gagné en profondeur. Et c’est la sensualité d’une musique
puissante et pourtant tout en clairs-obscurs, qui en ressort désormais.

Dans ces lieux à l’architecture ô combien classique, où le baroque ne
surgit que de la lumière, la musique de Striggio, nous a permis ce soir
d’atteindre des sommets, libérant l’esprit et le corps jusqu’à
l’incandescence.

Alessandro Striggio était un violiste virtuose, un de ceux pour qui la «
voix » humaine a peut-être le moins de secret, sachant la faire chanter
jusque dans son silence. Mais il fut aussi comme en témoigne cette
messe, l’un des créateurs de ce style si particulier de l’époque baroque
en Italie qu’est la musique monumentale. De son instrument d’origine il
a toutefois conservé jusque dans ce gigantisme cette capacité à
suggérer, murmurer la douceur infinie de l’éternité.

Extravagances sacrées :
un grand instant de spiritualité et d’émotion

Probablement créée pour une de ces fêtes florentines où la splendeur du
prince demandait ce qu’il y avait de plus fou, de plus extravagant,
cette messe à 40 voix avait été perdue. C’est Dominique Visse, le
contre-ténor qui l’a retrouvée à la BNF en 1978 et qui l’avait à
l’époque retranscrite. Mais c’est le travail du musicologue et
claveciniste britannique Davitt Moroney qui l’a analysée et publiée qui
permet aujourd’hui aux musiciens de nous en faire découvrir toutes les
beautés.
De telles œuvres, sont extrêmement rares et elles posent forcément la
question de la spatialisation des choeurs. Si l’équilibre entre
chanteurs et musiciens et avec le public est déjà difficile à réaliser,
plus que cela il semble quasi impossible que cette démesure de la
musique colossale puisse créer une émotion autre que celle d’un simple
émerveillement devant un prodige. Et pourtant ce soir, c’est donc bien
au-delà de cela que nous sommes allés.
Reconstituant une messe complète à partir de la messe et d’un motet à 40
voix d’Alessandro Striggio, Hervé Niquet a complété les parties
manquantes avec des pièces (Laetatus sum, Miserere et Magnificat)
d’Orazio Benevoli. Ce musicien, du début du XVIIe siècle, est considéré
comme l’un des grands représentants de ce style monumental italien. Il
partage avec Striggio une technique de composition. Cette dernière
consistait à reprendre pour unifier les cinq parties d’un ordinaire de
messe une musique aussi bien sacrée que profane, des madrigaux comme
c’est le cas dans la Messe de Striggio.
Voulant souligner tous les rapprochements possibles qui font de
Striggio, l’un des maîtres de ce style monumental, le chef complète
cette fresque si magnifique et déroutante par deux autres pièces de deux
autres compositeurs tout aussi passionnants. Pour la version propre
d’une messe, Hervé Niquet a retenu celle de la Saint-Jean qui aurait pu
être chantée à Florence du vivant de Striggio. Elle fut composée par
Francesco Corteccia qui y officiait comme maître de chapelle à l’époque.
Tandis que bien sûr, la musique sublime de Monteverdi qui ne pouvait
être absent vient parachever la reconstitution ainsi proposée par un
Memento à 8 voix.

Vertiges monumentaux pour les 25 ans du Concert Spirituel

Après une entrée en procession, prenant étrangement déjà possession de
la résonance du château, Le Concert Spirituel a constitué la forme
parfaite, un cercle en plein cœur de la Chapelle Royale. Tournant ainsi
le dos au public, réparti tout autour de ce cercle, les cinq choeurs à 8
voix et les instrumentistes, – Hervé Niquet placé lui-même au centre
face aux instruments à vents mais de dos à la contrebasse et à la basse
viole -, ont illuminé la nuit et les cœurs.
Le chef a parfaitement maîtriser cette ardente énergie, qui ne demande
qu’à irradier. Sa grande précision lui a permis de ne pas céder à la
facilité, sculptant les nuances avec une fascinante et étrange
délicatesse, tout en laissant parler son tempérament fougueux pour mieux
éviter toute démesure vide de sens, et rechercher toute la passion qui
consume les cœurs afin d’élever les âmes. il a permis à chacun de former
un tout, de mieux s’écouter, avec une attention démultipliée par la
disposition choisie.
Cette musique à 40 voix, accompagnée par des dulcianes et des
sacqueboutes à la beauté somptueuse, véritable velours instrumental,
tout comme l’orgue et les instruments à corde, tandis que le régal et
les clavecins apportent une note paradisiaque, ouvrent un dialogue d’une
haute spiritualité, nous invitant à nous abandonner à toute cette
somptuosité pour en vivre l’intense émotion.
Tous les pupitres sont à louer. Toutes les voix sont splendides. Tandis
que l’on se surprend parfois, étant au plus près de certains chanteurs
ou instruments, à relever une voix parmi d’autres paraissant plus
exceptionnelle qu’une autre, c’est pourtant bien tout le choeur qui nous
empoigne et nous bouleverse. Les voix semblent tourbillonner, s’élevant
de plus en plus, tout en se répondant, provoquant des effets d’échos
qui investissent l’espace. Jamais la Chapelle Royale, n’avait semblé si
vaste et contenir le Tout. Le Concert Spirituel est parvenu à nous faire
ressentir la présence de l’Univers dans cette musique, un univers d’une
fascinante intériorité. Du début jusqu’au final, ce programme vous
appelle et vous interpelle, vous ouvre des espaces et vous rassemble en
ce cercle fermé. Voici donc une des plus grandes réussites du Concert
Spirituel qui ne pouvait mieux fêter ses 25 ans.

Versailles. Chapelle Royale, le 5 avril 2012. Extravagances sacrées à 40
voix. Alessandro Striggio (1537-1592) : Messe « Missa sopra Ecco si
beato giorno » à quarante voix et Motet « Ecce beatam lucem » in cinque
corri à quarante voix. Francesco Corteccia (1502 – 1571) : Plain chant
du propre harmonisé. Claudio Monteverdi (1567 – 1643) : Memento à 8 voix
; Orazio Benevoli (1605 – 1672) : Laetatus sum, Miserere, Magnificat
pour deux choeurs ; Le Concert Spirituel, direction : Hervé Niquet

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