Résident à Las Palmas (Gran Canaria), Eligio Luis Quinteiro, ancien élève de l’immense Eugène Ferré (luth) à Toulouse en 1989, dirige avec précision, finesse, économie: il affirme une maturité artistique étonnante qui saisit par la fluidité et l’opulence intimiste de la sonorité de son ensemble: des voix solistes, caractérisées, et pourtant idéalement fusionnées dans le groupe, offrant cette subtilité expressive et articulée qui irradient littéralement depuis l’autel principal de la magnifique Cathédrale de Cuenca.
Le chant s’accorde d’autant mieux à l’espace architectural que le programme met en regard les oeuvres de l’ineffable Cristobal de Morales (séquences de la Messe Mille regretz a 6) et le style plus tardif de Juan de Castro y Mallagaray, né non loin de Cuenca (Cañete, vers 1570). Elève du flamand Felipe Rogier, maître de la Chapelle Royale de Philippe II, Juan Castro a fourni la musique liturgique pour la Cathédrale de Cuenca, corpus déjà abordé dans des éditions précédentes de la SMR. Comme nous le précise, le directeur artistique de La Capilla Cayrasco, « Juan de Castro demanda personnellement en 1623 à l’archiviste de la Cathédrale de Cuenca de se procurer le Liber Primus de Morales de 1544 (dont fait partie la Messe Mille regretz) afin de le récopier et de l’analyser pour fournir sa propre musique à la Cathédrale de Cuenca. La filiation est donc naturelle entre les deux compositeurs, et le regard offert par le concert entre les deux auteurs, totalement légitime ».
Dans la tradition francoflamande où règne la polyphonie souveraine, expression directe de l’intangible et du divin, le style de Juan de Castro se précise, comparé à Morales : une attention précise accordée au verbe mais aussi cette splendeur sonore, à la fois concrète et éthérée qui hypnotise et caresse tout autant.
Face à l’enveloppe chorale de Morales, qui fut chanteur au sein de la Chapelle pontificale et protégé du cardinal d’Este à Rome (1535-1545), Juan de Castro développe ce que son aîné, proche en cela de Palestrina ou de Lassus, a ciselé y compris dans un contexte sacré voire liturgique: certes les entrelacs contrapuntiques où se perd la lisibilité mordante du texte, mais aussi, surtout, une intelligence déjà madrigalesque du verbe (Assumpsit Iesu a 4).
Dès le Kyrie de la Missa Mille regretz, la douceur sereine et flottante des voix parfaitement équilibrées, dit la proximité recherchée du croyant et de son Dieu… Face à Morales, Juan de Castro affirme une égale profondeur dans le sentiment de piété adoratrice: le Ductus est Iesus a 4 éblouit par les nuances hagogiques, le sens des couleurs, l’unité sonore et aussi la disparité individualisée des timbres associés.
A une élégance jamais creuse, les chanteurs nourrissent cette suspension émerveillée à laquelle le jeu d’un basson complémentaire apporte une gravité tout aussi articulée. Que dire encore de l’engagement partagée et juste de Caligaverunt oculi mei a 6: prise à témoin, déploration et prière, véritable vallée des larmes auxquelles chaque soliste apporte son offrande millimétrée dont l’intonation convainc par sa justesse et sa sincérité.
Le dernier morceau de Juan de Castro, Memento a 8, souligne un accomplissement majeur dans l’approche du style: vanité et renoncement énoncés avec solennité et pudeur: supportés par l’orgue et le basson, le verbes
chanté irradie entre évanescence et fulgurance. Quelle maîtrise!
Aucun disque pour le moment au crédit d’un ensemble superlatif, désormais à suivre. Capilla Cayrasco: retenez bien son nom!
Cristobal de Morales (ca 1500-1553): Missa Mille regretz. Juan de Castro y Mallagaray (1570-1632): diverses pièces sacrées. Capilla Cayrasco. Eligio Luis Quinteiro, direction.
