mardi 6 mai 2025

Aubazine (Corrèze). Abbaye, le 1er avril 2012. Costanzo Festa : Les Lamentations du prophète Jérémie. Ensemble Scandicus. Jérémie Couleau, direction

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Les Scandicus illuminent le texte de Festa

En ce dimanche des Rameaux, la belle abbaye cistercienne d’Aubazine a offert son acoustique parfaite aux Scandicus. Le recueillement a été grand et la concentration du public a égalé celle des jeunes interprètes. Une sobre et habile mise en espace a permis au son de pendre possession des lieux et des âmes.

Constanzo Festa est une compositeur romain particulièrement doué et ces lamentations sont parmi les plus belles jamais écrites. Mêlant la plus pure tradition franco-flamande aux monodies qui annoncent lamenti et ariosi des siècles à venir, la qualité musicale de l’œuvre en sa variété, sa splendeur sonore et ses moments de solitudes vocales, permet de rendre justice au texte si beau et si fort des lamentations du prophète Jérémie pleurant Jérusalem avilie.

Une lecture sobrement émue de chaque lamentation dans sa traduction française juste avant le chant a permis une écoute délicieuse de cette partition si proche des mots. Les effets sont parfois figuratifs, tous les chanteurs évoquant la foule, les soli apportant une note de plainte intime et les petits groupes illustrant les prises de position groupales. La beauté des voix est parfaite et le mariage des timbres des Scandicus est une merveille. Car cet ensemble intègre selon les disponibilités des chanteurs de nouveaux membres. Ainsi l’alto un peu plus en force de David Sagastume a t-il été coopté en raison d’un timbre riche qui touche directement. Mais son mariage avec la voix si policée et musicale de Jean-Louis Comoretto a parfois été un peu déséquilibré. Les autres duos de voix sont par contre parfaitement équilibrés. Le duo des basses étant le plus impressionnant en de belles résonances vibrantes. Les ténors ont à la fois la délicatesse et la force de la voix qui souvent porte le verbe en son plus clair élan. Mais ce qui restera comme porteur de la plus belle émotion est cette fragilité momentanée, par exemple celle de Pierre Perny, à vous fendre l’âme.

La reprise du repons « Jerusalem, Jerusalem convertere ad dominum deum tuum » avant d’éteindre un cierge en fin de chaque lamentation est un moment de communion bouleversant avec une recherche de nuances rares.

La vocalisation quasi métaphysique des lettres de l’alphabet avant chaque lamentation est également un moment de poésie inoubliable. L’ordre a été modifié pendant ce concert sans troubler l’écoute. Le retard de la splendide première lamentation ne permet pas l’effet qui coupe le souffle par tant de beauté immédiate mais permet de jouir d’avantage de lamentations plus modestes. Cette immersion progressive est comme une initiation bienveillante.

La direction élégante de Jérémie Couleau permet au tactus de structurer fermement et souplement le discours musical.
On l’a dit la partition est majeure et mérite d’être connue de chaque amateur d’émotion musicale. Ce qui rend l’interprétation des Scandicus indispensable est cette constante recherche commune, cette écoute sensible et ce courage de chercher au cours du concert des réponses, des symétries et des nuances à la limite du danger. Le plaisir des 8 chanteurs à faire cette musique ensemble est palpable et provoque une écoute aussi attentive qu’émue. La beauté de l’ensemble égale le plaisir de découvrir chaque timbre dans de très courtes phrases solistes parfaitement conduite. Le texte est toujours articulé avec naturel et gourmandise. La vie de cette interprétation est admirable et plus que jamais rend le concert comme le plus beau moyen de percevoir de manière si particulière le mystère de la création. L’indicible de la condition humaine souffrant de la conscience de sa misère mortelle apparaît en des brumes habillant l’alentour du Grand Créateur.

Nombreux sont ceux qui sont ressorti de ce concert transfigurés par tant de beauté vivante. En bis, une adaptation pour voix d’hommes d’une lamentation que Ginesteras, compositeur argentin publia en 1946, permet de mesurer la classe vocale et la sûreté technique de nos chanteurs qui réalisent une partition complexe avec la même vie et la même simplicité que celle de Festa, 400 ans auparavant.

Un magnifique moment de partage et d’émotion musicale a été offert par « l‘Aura des arts » en la belle abbatiale d’Aubazine par des musiciens de grand talent offrant leur voix autant que leur cœur.
Les Scandicus ont gravé une version discographique de ces Lamentations en 2007 qui est indispensable, mais rien n’égale l’écoute en concert de leur re-création à chaque fois différente.

Aubazine (Corrèze). Abbaye, le 1er avril 2012. Costanzo Festa (1490-1545) : Les Lamentations du prophète Jérémie. Ensemble Scandicus : Jean-Louis Comoretto et David Sagastume, alti ; Jérémie Couleau et Pierre Perny, ténors 1 ; Olivier Boulicot et Dominique Rols, ténors 2 ; Jean-Manuel Candenot et François Velter, basses. Direction : Jérémie Couleau.

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