Puccini
La Bohème, (Turin, 1896)
D’après le roman parisien d’Henry Murger, Scènes de la vie de Bohème (1851), antérieur de 25 années à l’opéra de Puccini, La Bohème peine à s’imposer à la scène après sa création turinoise. Est ce parce que Puccini se montre moins fidèle au roman source que Leoncavallo sur le même sujet? Quoiqu’il en soit, jamais la puissante séduction des mélodies n’est plus prenante voire irrésistible qu’ici… Puccini produisant même après la rencontre de Rodolphe le poète et Mimi la cousette à la fin du I, l’un des plus beaux duos d’amour de tout l’opéra romantique italien.
Paris est l’un des personnages clés de la partition lyrique: mansarde au quartier latin (I,IV), café Momus (le rendez vous des Bohèmes sans le sou), la barrière d’enfer, évoquée en un tableau venté et glacé telle une aube hivernale, (illustration du « dégel » émotionnel, à la fois attendrissant et pathétique entre les deux amants miséreux…) sont les tableaux visuels d’un opéra où s’affirme peu à peu la vie de bohème telle qu’elle eut cours dans la capitale française dans la seconde moitié du XIXème.
Le misérabilisme du sujet, son traitement réaliste (vérisme musical) brosse le portrait des artistes: poète (Rodolphe), Schaunard (musicien), le philosophe Colline et le peintre Marcel (… comme l’est aussi Mario dans Tosca), sont tous amis ; ils sont amateurs des relations faciles avec les femmes du demi monde: ainsi Rodolphe et Mimi, Marcel et Musette (laquelle triomphe en séductrice libérée, ex amante du peintre et à présent dans le tableau du café Momus au II, dominatrice d’un vieux riche prêt à s’encanailler avec le petit peuple de Paris… ).
Le Paris des bohèmes
Phtisique, Mimi appartient au mythe lyrique des héroïnes tragiques et entières comme peut l’être aussi Violetta Valéry (La Traviata de Verdi). Le thème de l’amour voué à disparaître, impossible sur cette terre (Tristan und Isolde) est transposé dans le milieu misérable des démunis, mais il est davantage pathétique car il s’étiole ici de lui-même: les amants magnifiques au I, ne peuvent plus se supporter au III (barrière d’enfer, quand Mimi reproche à Rodolphe, sa jalousie maladive; quand Rodolphe, pourtant touché par la maladie de Mimi, préfère l’abandonner à une vie plus confortable: avec un autre?…). Pourtant ce couple de jeunes marginaux, abîmés par la vie, ne peut pas se séparer sans d’inévitables adieux, regrets, remords, blessures à peine masqués. Voilà tout ce qui fait par exemple ce pathétique bouleversant et très juste du tableau de la barrière d’enfer où les deux âmes s’éloignent l’une de l’autre, sans vraiment rompre.
Puccini sur les pas de Murger ajoute encore au tableau larmoyant en faisant expirer Mimi, inguérissable et condamnée, dans les bras de Rodolphe, à l’endroit de leur première rencontre: la mansarde au quartier latin…
Reste qu’aux côtés de son registre lacrymal voire anecdotique, l’œuvre de Puccini est l’une des plus modernes qui soient, harmoniquement très en avance sur son temps et davantage que Ravel à la même époque: s’il est taxé de vérisme, Puccini est surtout un grand moderne. Verdi d’ailleurs, tout en reconnaissant l’habilité de l’écriture, jugeait la gestion harmonique trop innovatrice, donc dérangeante. Qu’aujourd’hui ces réserves historiques soient évacuées face à la beauté flamboyante des élans mélodiques, voilà la preuve définitive de l’incroyable succès contemporain de Puccini dont La Bohème, mais aussi Tosca, Butterfly et surtout Turandot, autre portraits irrésistibles de la femme à l’opéra, sont jouées régulièrement aux quatre coins de la planète.
Puccini: La Bohème, à l’affiche des théâtres d’opéra
Tours, Opéra Angers Nantes Opéra
Les 13, 15 et 17 avril 2012
Jean-Yves Ossonce, Gilles Bouillon
Du 23 avril au 6 mai 2012
Shanahan, Langridge