Compte rendu opéra
Une Clémence de grande allure
Cette très belle production du chef-d’œuvre mozartien restera dans les annales. Tout y est admirablement équilibré et aucune fausse note ne vient gâcher l’harmonie d’un spectacle total. Cet ultime opéra séria de Mozart, commande impériale à laquelle il ne pu, ni ne voulu se soustraire, alors qu’il avait déjà en chantier, la Flûte enchantée et son Requiem, trouve une interprétation digne de cette puissance créatrice. On se demande encore comment Mozart a pu accoucher en si peu de temps de ces trois chefs-d’œuvre ! Cette Clémence qui appartient un peu au passé, en raison du livret de Metastase et de son genre seria, contient certainement les plus belles pages vocales du divin Mozart et l’orchestration est infiniment riche et variée. Du côté musical Toulouse a fêté les voix avec une distribution proche de l’idéal. Ainsi La Vitellia de Tamar Ivery bénéficie d’un tempérament de feu qui convient bien à la fureur de ce personnage violent. La tessiture meurtrière est dominée totalement par le grand soprano lyrique qui sait s’incarner dans les grands Verdi et Puccini (sa Suor Angelica est encore dans les mémoires des Toulousains). Le timbre est aujourd’hui un peu métallique et confère bien de la dureté au personnage, qui gagne ainsi en noirceur. Les vocalises sont parfaitement réalisées avec souplesse ou force selon les intentions du compositeur. Anne-Catherine Gillet est charme et séduction, de timbre comme d’allure, dans le rôle bien trop court de Servilia. Sa bonté et sa beauté pure font le contre poids lumineux au personnage maléfique de Vitellia, mais l’énergie dans le récitatif face à Titus est également du grand art. Le timbre si unique, son grain si fleuri, et la ligne de chant si subtilement mozartienne, promettent une Illia idéale. En Sesto, Maité Beaumont fait une prise de rôle mémorable, tout le personnage est là : une allure scénique élégante et racée, vive et fragile à la fois, un timbre charnu et rond. Les longues phrases sont négociées avec souplesse et ce rôle exigeant trouve en Maité Beaumont une interprète bientôt incontournable. Après Berganza l’Espagne nous donne un autre Sesto parfait. Paula Murrihy a une allure juvénile et un timbre charmant qui donnent une belle présence à Annius. Le duo de l’acte un avec Servilia est un pur délice. L’autorité naturelle, la franchise et la beauté vocale d’Andreas Bauer font de son Publius une référence. Mais tout l’opéra repose sur le rôle titre et le ténor sud-corréen Woo-Kyung Kim est la révélation de la soirée. Certes sa silhouette demande un petit effort afin d’incarner un empereur romain, mais tout le reste est impérial chez ce jeune chanteur. Une autorité basée sur l’élégance et la bonté, une ligne de chant admirable, un souffle long et une vocalisation parfaite lui donnent les qualités des chanteurs mozartiens de l’âge d’or. Le timbre est si beau, si chaud et si égal sur toute la tessiture qu’il peut incarner tout héros mozartien de son choix. Tamino, Ottavio, Belmont et Ferrando tiennent là leur voix, mais c’est surtout Idoménéo qui peut devenir son rôle majeur. Quand aura été signalée une capacité de nuances rare et une réserve de puissance certaine le succès de sa carrière ne fait plus l’ombre d’un doute. Un artiste à suivre absolument ! Les chœurs préparés par Alfonso Caiani font l’admiration des plus exigeants. Très engagés dramatiquement, leurs interventions sont capitales. Les deux finals sont littéralement portés par le souffle du chœur. La direction de David Syrus est honnête soutenant les chanteurs d’avantage qu’inspirateur de tension. L’Orchestre du Capitole a offert ses bois divins et si importants dans la Clémence.
La mise en scène de David McVicar arrive à apporter de l’émotion dans cette intrigue un peu raide, grâce à des gestes d’un naturel confondant. La manière dont Titus étreint Sesto refusant de croire qu’il est coupable est un grand moment d’émotion, encore fallait-il y penser ! Les artistes coordonnées par David Greeves, effectuent des figures d’arts martiaux qui apportent force et puissance tout du long, et aux moments clefs par leur grande allure. Ainsi leurs jeux d’épées sur la marche de l’ace 1 tient d’avantage du ballet par la précision, en rythme musicalement, des gestes guerriers. Belle trouvaille dramatique et esthétique.
Les décors sont mobiles et tentent de suggérer la Rome antique revue par le XVIII ième siècle. Les costumes permettent également cette double lecture historique avec un agréable mélange d’époque antique et contemporaine à la création avec l’évocation du Premier Empire à venir. La robe d’Anna Catherine Gillet est d’une élégance inoubliable.
Le final de l’acte un et surtout de l’opéra sont les moments les plus forts de la soirée tant chaque musicien s’engage, chanteurs, chœurs et chef trouvant un accord proche de la perfection.
Cette coproduction du Festival d’Aix-en-Provence, Toulouse et Marseille a fait et fera beaucoup d’heureux ! Nous tenons en tous cas la plus belle soirée d’opéra de la saison du Capitole pour l’instant.
Toulouse. Théâtre du Capitole, le 9 mars 2012. Wolfgang-Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clémence de Titus, opera seria. Tito Vespasiano : Woo-Kyung Kim ; Vitellia : Tamar Iveri ; Sesto : Maite Beaumont ; Servilia : Anne-Catherine Gillet ; Annio : Paula Murrihy ; Publio : Andreas Bauer ; Choeurs du Capitole, chef de chœur : Alfonso Caiani. Orchestre national du Capitole. Direction : David Syrus.
Mise en scène : David McVicar, réalisée par Marie Lambert ; Costumes :
Jenny Tiramini ; Lumières : Jennifer Tipton ; Décors : Bettina Neuhaus.
Le Titus de McVicar à Toulouse. Créée au dernier
festival d’Aix, la production de l’ultime opéra de Mozart, La Clémence
de Titus (1791), signée par le metteur en scène britannique David McVicar, fait
escale au Capitole de Toulouse, du 9 au 20 mars 2012. Voir nos images vidéos et lire notre présentation
(Christophe Rousset, direction; avec l’excellente soprano Hélène
Guilmette, et la baryton Thomas Dolié… entre autres), du 4 au 15 mai
2012. Puis, Tannhäuser de Wagner (1845, version de 1875
comprenant les rajouts de la version parisienne de 1861), du 17 au 29
juin 2012 (Hartmuth Haenchen, direction (avec Peter Seiffert dans le
rôle de Tannhäuser)… Deux nouvelles productions également
incontournables. Toutes les infos sur le site du Capitole de Toulouse