Charpentier+Molière=l’équation magique?
D’emblée, point d’orgue de l’album, saluons la superbe révélation que ce premier intermède du Malade imaginaire
Le désaccord entre les deux Baptistes remonte en fait à l’année 1672 quand Charpentier écrit pour Molière la musique de scène du Mariage forcé (créé le 8 juillet 1672); après avoir travaillé pendant 7 ans avec Molière (du Mariage forcé à Psyché, de 1664 à 1671), Lully lâche Molière, prend son propre envol en obtenant le privilège de la musique à l’opéra: il empêche dès lors Molière de faire jouer tout intermède (dansé, chanté, mis en musique…) dans ses pièces; pour Lully c’est le début d’une aventure exceptionnelle qui le mène à la tragédie lyrique de 1673 (Cadmus et Hermione); pour Molière, c’est une fin annoncée à l’issue fatale. Alors que Lully travaille dès lors avec Quinault; Molière choisit Charpentier afin de poursuivre son oeuvre dans le genre de la comédie-ballet (fixé auparavant avec Lully): le vieux Molière et le jeune Charpentier pas encore trentenaire (29 ans) se rencontrent et réussissent dans l’écriture du Mariage forcé: tout le délire de Molière s’y concentre; avant Don Pasquale, le quinqua Sganarelle a décidé de se marier, tout en craignant d’être cocufié par sa jeune épouse; il tente de recueillir conseils auprès de ses proches: Geronimo et Marphurius, très fine et mordante caricature de médecin dont Molière a toujours eu le génie. Le trio final à 3 voix d’hommes fait la satire des opéras nouveaux, où tout est bon pour faire chanter la mélodie (« Tout est bon, Quoi qu’on die; Tour bruit forme mélodie »)…
Agrémentées de quelques autres perles dramatiques du même duo décidément très inspiré (ouvertures du Dépit amoureux, de la Comtesse d’Escarbagnas; extraits du Sicilien de 1679; avec en bonus, le trio des rieurs des Fous divertissants de 1680 sur un livret de Raymond Poisson), les deux scènes majeures formaient un spectacle présenté au festival Musiques à la Chabotterie à l’été 2011, et intitulé » la dernière sérénade de Molière »: s’agissant de sa dernière collaboration avec un compositeur avisé, toutes les musiques et scènes choisies témoignent du dernier Molière, un génie intact qui semble ressuscité au contact d’un musicien plus que talentueux. Hugo Reyne connaît les formes entre musique, chant et théâtre qui préfigure l’opéra français: en artisan avisé, il sait conduire sa brillante troupe d’une main experte: aucun doute, les créateurs français, au début des années 1670 sont prêts pour que naisse un art spectaculaire spécifiquement français.
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704): Musiques pour les comédies de Molière. Romain Champion, haute-contre. Vincent Bouchot, taille. Florian Westphal, basse. La Simphonie du Marais. Hugo Reyne, direction. Enregistrement réalisé à l’hiver 2011, Les Sables d’Olonne, Vendée).