Dardanus de Rameau à l’Opéra Royal de Versailles
Dardanus 1744 : pour l’orchestre et les choeurs
Alors que l’année Rameau s’annonce (2014 marque le 250e anniversaire de sa disparition), le jeune ensemble baroque, Pygmalion, sous la direction de Raphaël Pichon joue un opéra en version de concert, Dardanus. Mais plutôt que de nous en offrir la version de la création (1739), c’est sa seconde version, de 1744 qu’il a décidé de recréer.
Cet opéra a connu une histoire aussi mouvementée que son compositeur était tourmenté. Il s’agit en fait de sa cinquième tragédie lyrique en un prologue et cinq actes. Elle ne connut d’abord qu’un succès très limité, subissant des critiques portant non seulement sur sa musique (trop riche pour certains), mais également pour son livret considéré alors comme démodé en raison de la présence trop forte du surnaturel, de ces personnages trop loin de l’humaine faiblesse. Après s’être un moment retiré, Rameau revint vers son librettiste Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère revoyant avec lui, musique et texte des trois derniers actes.
Il en résulte une version plus déclamatoire, dont disparaissent certains des plus beaux airs de la version de 1739. Une place importante est donnée aux choeurs, qui y sont nombreux et variés tout comme les danses, tout donnant à l’orchestre la part belle. Seul un air, celui de Dardanus au début de l’Acte IV, « Lieux funestes… » en étant passé à la postérité. Car jusqu’à présent les différents chefs qui ont enregistré ou présenté en public Dardanus intégralement, ont toujours préféré la version de 1739 se contentant de reprendre, cet air de Dardanus dans des récitals ou des danses dans des concerts orchestraux.
C’est pour ouvrir le festival de Beaune 2011 que Raphaël Pichon a décidé après Bach de s’attaquer à un autre « monument » de la musique : Rameau. Dans la même année, il aura donc recréée la musique du Cantor pour une messe funéraire : la Musique Funéraire pour le Prince de Cöthen, et une version inédite d’un opéra du dijonnais. En nous offrant cette version de 1744, avec une troupe très jeune tout comme lui, il se lance donc un nouveau défi de taille. Et tout comme pour Bach, son audace surprend … sans totalement nous convaincre.
S’il nous permet ainsi de découvrir, un génie au travail, remettant sans cesse sur le métier son ouvrage pour tenter de contrecarrer toutes ces critiques qui le meurtrissaient et le stimulaient probablement tout autant, il n’en reste pas moins que cette version nous semble moins intéressante que la première, malgré la passion mise en œuvre pour défendre ce projet. Car pour qui aime la voix ce n’est pas elle qui est ici mise à l’honneur, mais plutôt l’orchestre et ses couleurs vives.
L’ensemble Pygmalion sous la direction très élégante de son chef défend ce Dardanus avec ardeur, mais manque parfois de brillant. Les nuances gagneraient à être plus marquées. Certains pupitres dont tout particulièrement les cordes, sont pleins d’allants et nous ont offert de très beaux moments. Il en de même pour le choeur. Dans les solistes ce sont tout d’abord dans deux rôles secondaires, deux beaux tempéraments du chant français qui nous ont particulièrement éblouis. Emmanuelle de Negri dans les rôles de l’Amour et de la Seconde Phrygienne; Romain Champion dans celui d’Arcas… tous deux possèdent toutes les qualités pour nous enchanter : timbre lumineux, vocalité virtuose, souplesse vocale, déclamation parfaite. On retiendra également dans le reste de la distribution Benoît Arnould qui est un Anténor troublant d’émotion et Gaëlle Arquez, une Iphise charmante, au timbre charnu, mais à la déclamation parfois imprécise. Malheureusement, Bernard Richter, superbe Atys il y a quelques mois, ne parvenant pas à contrôler son émission, passe à côté du rôle titre.
En conclusion, une jolie production qui toutefois devra acquérir plus de maturité pour nous persuader que le trait de génie de Rameau n’avait pas déjà quasiment tout écrit dans la première version de Dardanus, la seconde ne lui étant arrachée qu’au prix d’un renoncement et ce même si elle possède quelques belles pépites. On ne peut toutefois qu’applaudir à la prise de risque qui a permis au public de l’Opéra Royal à Versailles, ce soir, de passer un bien agréable moment.
Versailles. Opéra Royal, le 16 février 2012. Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Dardanus. Tragédie Lyrique en un prologue et cinq actes sur un livret de Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère. Seconde version de 1744. Dardanus : Bernard Richter ; Iphise : Gaëlle Arquez ; Isménor : Joao Fernandes ; Anténor : Benoît Arnould ; Teucer : Alain Buet ; Vénus et Première Phrygienne : Sabine Devieilhe ; Amour et seconde Phrygienne : Emmanuelle De Negri ; Arcas : Romain Champion. Choeur et Ensemble Pygmalion. Direction : Raphaël Pichon. Par notre envoyée spécial Monique Parmentier