Dans la continuité du récital envoûtant d’Aya Okuyama dans le somptueux écrin de la Sainte-Chapelle (salué dans ces colonnes le 8 juin), le festival « Résonances” poursuit son exploration des claviers avec le jeune prodige Sébastien Grimaud. Ce samedi 28 juin, le claveciniste (mais aussi pianiste et organiste) a offert un voyage temporel au cœur de l’âge d’or baroque, confrontant deux géants du répertoire : Dietrich Buxtehude (1637-1707) et Johann Sebastian Bach (1685-1750). Un dialogue entre maître et élève, entre fantaisie débridée et architecture rigoureuse, sublimé par l’acoustique sacrée de ce joyau gothique.
Avec le Prélude en sol mineur (BuxWV 163) et la Toccata en Sol Majeur (BuxWV 165) de Dietrich Buxtehude, le récital a immédiatement révélé la quintessence du « stylus phantasticus ». Grimaud a exploité les contrastes saisissants de l’œuvre avec une audace rhétorique : Arpèges jaillissants et silences suspendus, transformant le clavecin en « théâtre des émotions » selon la tradition nord-allemande. Dans le Prélude en sol mineur (BuxWV 163), la main gauche a tissé un contrepoint tourmenté, tandis que la droite déployait des ornements comme des étincelles sur la pierre. Quant à la Sarabande de la Suite en Do Majeur (BuxWV 226), elle a été interprétée avec une gravité méditative, rappelant que Buxtehude fut un pionnier de l’expressivité spirituelle.
En contrepoint des fulgurances buxtehudiennes, Grimaud a choisi des œuvres illustrant l’héritage et la transcendance bachienne. La Sonate en Do Majeur (BWV 966) de J. S. Bach s’impose comme une fusion de tradition italienne (ritournelles virtuoses) et germanique (fugues structurées). Le claveciniste y a révélé une énergie rythmique implacable, notamment dans les mouvements fugués, sans jamais sacrifier la clarté des voix. Dans la Suite française n°4 en Mi bémol Majeur (BWV 815 – Allemande), le phrasé de Grimaud a épousé la souplesse chorégraphique de la pièce, avec un toucher délicat soulignant les dissonances poignantes. Et dans le Prélude, Fugue et Allegro en Mi bémol Majeur (BWV 998) – clou du récital ! – le Prélude, d’une sérénité oratoire, a ensuite laissé place à une Fugue architecturée comme une cathédrale sonore, avant l’Allegro final, tourbillon de joie contrapuntique exécuté avec une précision horlogère.
La Sainte-Chapelle, malgré les échafaudages de sa restauration en cours, a magnifié ce dialogue musical : les voûtes presque millénaires ont renvoyé les basses du clavecin William Dowd-Paris en un halo de résonances, transformant chaque accord en prière. Lors du Prélude en do mineur (BWV 921) de Bach, les bleus des verrières semblaient répondre aux mélancolies modales, créant une synesthésie inoubliable.
Avec une virtuosité sans ostentation, le jeune Sébastien Grimaud a incarné l’équilibre entre érudition et sensibilité. Il a exploité tous les registres du clavecin, des jeux de luth ténus aux pleins jeux majestueux, notamment dans la Toccata en mi mineur (BWV 914) de Bach. Ses ornementations, notamment dans les Adagio de Buxtehude, respirant l’improvisation vivante, et la succession des pièces a révélé la filiation entre les deux compositeurs, mais aussi leur irréductible singularité.
Si Grimaud a clos son récital par une Fugue en Do Majeur (BuxWV 174) de Buxtehude – jubilation rythmique proche de la danse –, le festival « Résonances » s’achève ce 30 juin par une autre promesse : le jeune lauréat du Concours Long-Thibaud 2025, Kim Saehyun. Ce prodige sud-coréen de 17 ans, vainqueur avec le redoutable Concerto n°3 de Rachmaninov, incarne la relève pianistique mondiale. Gageons que sous les voûtes de la Chapelle de Saint-Louis, son interprétation clôturera en apothéose ce mois dédié aux claviers !
_________________________________________
CRITIQUE, festival. PARIS, Sainte-Chapelle, le 28 juin 2025. BACH / BUXTEHUDE. Sébastien Grimaud (clavecin). Crédit photo (c) Emmanuel Andrieu
- Dernier concert : Kim Saehyun, le 30 juin 2025, 20h à la Sainte-Chapelle.
- Réservations : 01 42 77 65 65