mercredi 25 juin 2025

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre du Capitole, le 24 juin 2025. CILEA : Adriana Lecouvreur. L. Haroutounian, J. Kutasi, V. Costanzo, N. Alaimo… Ivan Stefanutti / Giampaolo Bisanti

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Dans une mise en scène signée Ivan Stefanutti, cette Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea – actuellement à l’affiche du Théâtre du Capitole de Toulouse – transpose l’intrigue du XVIIIᵉ siècle dans l’univers Art déco des années 1920-1930. Inspirée par les premières divas du cinéma muet et le théâtre de la Belle Époque, l’esthétique noir et blanc crée un contraste saisissant, symbolisant la dualité amour-jalousie. Les décors élégants (colonnes hautes, éclairages sophistiqués) et les costumes d’époque, conçus par Stefanutti lui-même, plongent le spectateur dans une atmosphère de « décadentisme » intense. Seule touche de couleur : le tableau final d’Adrienne qui s’illumine à sa mort, métaphore poétique de sa légende immortelle.

 

Sous la baguette du chef italien Giampaolo Bisanti (directeur musical de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège), l’Orchestre national du Capitole de Toulouse révèle la partition de Cilea dans toute sa richesse. Bisanti épure le vérisme de sa sentimentalité excessive, mettant en lumière sa puissance dramatique et ses nuances subtiles. Les cordes, particulièrement émouvantes dans l’acte IV, et la harpe conclusive transcendent la partition. Le Chœur du Théâtre du Capitole (préparé par Gabriel Bourgoin) et le ballet pour 3 Danseurs (chorégraphié par Michele Cosentino) ajoutent une dimension onirique, notamment lors du Jugement de Pâris revisité en hommage à L’Après-midi d’un faune de Nijinski.

Dans le rôle-titre, la sublime soprano aménienne Lianna Haroutounian – à nos yeux la plus belle chanteuse au monde aux côtés d’Anna Netrebko et de Sonya Yoncheva – apporte toute sa dimension à la soirée grâce à la force de son interprétation. Au-delà de la beauté intrinsèque et du rayonnement phénoménal de la voix, elle captive par l’attention particulière qu’elle accorde au texte, en parant son chant d’accents et d’inflexions admirables, pour mieux servir une partition écrite pour de grandes diseuses : le célèbre Monologue de Phèdre est ici déclamé avec une merveilleuse sobriété. L’art de Lianna Haroutounian est celui d’une immense chanteuse, au timbre généreux, à l’accent sincère, à l’émotion immédiate, éloignée de tout artifice ; il est impossible de ne pas succomber à cette présence vocale franche et directe, et chacune de ses prestations nous emplit d’un bonheur sans partage.

Sa consoeur hongroise Judit Kutasi offre également une somptueuse interprétation de la Princesse de Bouillon, conférant à ce personnage maléfique toute l’arrogance vocale qu’il requiert. Plus féline que lorsque cet emploi est confié à des chanteuses ayant dépassé leur zénith vocal, cette rivale s’impose ainsi comme un rôle de premier plan, rééquilibrant les axes dramatiques du livre. Appelé en urgence pour remplacer José Cura, le ténor italien Vincenzo Costanzo livre une performance héroïque en Maurice de Saxe. Après un premier acte tendu, il libère un timbre chaleureux et des aigus conquérants, notamment dans le duo enflammé de l’acte IV. Baryton touchant et tellement humain, le baryton sicilien Nicola Alaimo incarne l’amour silencieux avec un legato somptueux et une présence scénique magnétique.

L’émotion atteint son paroxysme lors de la mort d’Adrienne : les lumières de Claudio Schmid (en pénombre symbolique) et la direction d’acteurs sobre amplifient la tragédie. Le public, conquis, réserve des ovations aussi interminables qu’enthousiastes à Haroutounian et à Costanzo, saluant aussi les seconds rôles d’exception (Roberto Scandiuzzi en Prince de Bouillon marmoréen et Pierre Derhet en Abbé ambigu).

Le Théâtre du Capitole termine sa saison sur un véritable triomphe public !

 

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CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre du Capitole, le 24 juin 2025. CILEA : Adriana Lecouvreur. L. Haroutounian, J. Kutasi, V. Costanzo, N. Alaimo… Ivan Stefanutti / Giampaolo Bisanti. Crédit photo © Mirco Magliocca

 

 

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