vendredi 6 juin 2025

CRITIQUE CD événement. INSIEME: Schubert 4 hands piano music / Schubert : musique pour piano à 4 mains. Monica Leone, Michele Campanella, pianos (1 cd Odradek, 2008)

A lire aussi

Belle révélation que cette partie encore méconnue du catalogue Schubertien : ses oeuvres pour 4 mains. Les deux interprètes Monica Leone, Michele Campanella (époux à la ville, complices à la scène) dévoilent la finesse, l‘élégance, la facétie (rossinienne) comme la gravité (mozartienne) étonnante de pièces qui égalent par leur intelligence expressive les autres formes (magistralement servies par Franz : de sa musique de chambre à ses Sonates et autres pièces pour piano seul). Ils abordent le corpus dans sa diversité, depuis le début et la fin des années 1810 (1811 : Fantaisie D9 puis de 1818 : Polonaises, danse et Ländler, sans omettre les 6 Grandes Marches) jusqu’aux ultimes années de composition (1828 : évidemment la sublime et très ambitieuse Fantaisie D 940, le Rondo D951, et la Fugue D952…). L’ambitus stylistique (et chronologique) qui distancie les deux Fantaisies (D9 de 1811 et D950 de 1828), révèle la saisissante maturité musicale de Schubert en 17 ans.
A l’école de la profondeur et de la connivence, les deux pianistes excellent, ajoutant une once d’humour ou de détachement nuancé selon le caractère requis.

 

 

CD1
Pièce majeure du cycle et sur le plan chronologique, accomplissement captivant, la Fantaisie D 940 saisit par sa maturité éloquente, sa simplicité expressive, sa profondeur bouleversante ; les 2 interprètes agissent en parfaite communion, comme deux coeurs d’une même âme, traversant une série de paysages intérieurs – la sobriété n’empêche pas l’expression d’une profonde blessure ni la volonté intime de s’immerger dans la psyché au plus profond du ressentiment comme un questionnement radical ; libre mais d’une justesse essentielle, le jeu exprime et la gravité désillusionnée du début, et l’allégresse comme printanière du 2è Allegro (noté « vivace ») ; surtout, la réexposition du Tempo I (dernier mouvement) pénètre dans le mystère et la vérité la plus personnelle (6 dernières minutes) avec une retenue complice qui cible la grâce et la volonté de résilience, dans le fugato final. Le parcours est éprouvant, de haute lutte dans un jeu engagé, contrasté, sobre et droit.

Les 4 Polonaises jouent très habilement des contrastes, le caractère nerveux, et la fluidité dansante de chaque séquence, ainsi énoncée comme une chanson populaire ; l’esprit de romance doucement nostalgique de la 2ème met en lumière la sobriété du jeu ; les Polonaises sonnent comme des épures au charme vivifié par le naturel et le dépouillement du jeu. Leur entrain rappelant l’élégance et la simplicité mozartienne, une bonhommie non exempte de sincérité.
Même approche à la fois naturelle, ciselée et presque dépouillée de la Danse allemande dont les 2 pianistes soulignent l’expressivité et l’acuité rythmique jusqu’au final réalisé dans un crescendo fougueux.
Suivent enfin, deux pièces de choix ; ambitieuses par leur développement qui dépasse les 10 mn ; d’abord le Rondo D951 (1828) d’une tendresse tranquille, douceur , conçu comme une berceuse ; et les 8 Variations D813 (de 1824) confirme la sensibilité et la profondeur d’un Schubert qui absorbe le dernier Beethoven (ses Diabelli). L’élégance dansante, l’équilibre romantique de l’écriture, experte, audacieuse (contrepoint affûté dans les notes aiguës) et cette conscience qui affleure sans jamais épaissir le flux musical sont parfaitement compris des deux pianistes.

 

 

CD2
Les Grandes marches D819, affichent malgré leur construction et leur rythme un rien militaire, un franc et lumineux sourire; cet escalier pianistique, ample et fermement énoncé, cultive en réalité la richesse de dialogues, expositions, réponses, reprises et variations : les deux pianistes, excellents dans l’alternance brillante et grave, déterminée / conquérante, puis soudainement triste et d’une insondable et langoureuse nostalgie, en expriment aussi la vitalité dansante ; maîtres des contrastes, ils savent diversifier et ciseler pour chaque séquence, jeu et caractère ; d’une clarté vif argent (3) – tout en facétie pré rossinienne (4) – à travers les multiples reprises, se réalise tout un cycle aux jeux croisés qui favorise l’entente et l’écoute fraternelle.
En nuances plus ténues, et dans le ton de la confession, la 5 (la plus développée) se fait plus sombre, d’une couleur introspective voire mélancolique. Et dans son flux énoncé avec retenue et mesure, une ampleur grave parfois glaçante s’affirme que tempère dans sa partie médiane, une échappée, chantante, libérée de toute entrave et pensée noire… mais la reprise finale réaffirme la puissance du sentiment tragique, désormais enveloppée dans une acceptation ciselée. Tout Schubert est là : dans ce détachement apparent, cette pudeur égale qui cachent en réalité des gouffres vertigineux, pensés, acceptés, résolus.

Malgré sa précocité dans la chronologie, la première Fantaisie du programme et la plus ancienne (D9) affirme véhémence, gravité, passages et revirements harmoniques qui produisant un caractère d’étrangeté, voire de climat panique ; dès 1818, Schubert est capable d’édifier des cathédrales vertigineuses… En jouant sur la résonance et la matérialité du son (accords initiaux, puis leur reprise) jusqu’à l’ultime accord, d’une noblesse noire, profonde…, le duo de pianistes touchent à l’essentiel chez Schubert : sa sobre fulgurance, sa franchise intime.

Le Rondo D608 (1818), est quant à lui, d’une insouciance mozartienne, d’une tendresse facétieuse qui gomme toute tension, – énoncé comme une cavatine …, avec sa partie harmoniquement plus sombre, et cet effet de vertige et d’ivresse intérieure propre au grand Schubert – La lecture qu’en réalisent Monica Leone et Michele Campanella en est d’autant plus naturelle et juste qu’ils l’abordent telle une divagation libre, comme improvisée.

D’autres réalisations sont probablement à venir car ne figurent pas dans ce déjà cycle décisif et très convaincant, plusieurs pièces de choix telles la « Grande Sonate » D617 (1818), ou le grand Duo de 1824… A suivre.

 

 

 

_______________________
CRITIQUE, CD événement. INSIEME: Schubert 4 hands piano music. Monica Leone, Michele Campanella, pianos (1 cd Odradek, 2008) – ODRCD469 -UPC : 810042704695 – parution fin avril 2025 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025;
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur italien Odradek records : https://odradek-records.com/release/michele-campanella-monica-leone-insieme-schubert-4-hands-piano-music/
LIRE aussi notre annonce du cd INSIEME / SCHUBERT par Monica Leone, Michele Campanella (Odradek, 2008) : https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-insieme-schubert-4-hands-piano-music-monica-leone-michele-campanella-pianos-1-cd-odradek-2008/

 

 

CD événement annonce. INSIEME: Schubert 4 hands piano music. Monica Leone, Michele Campanella, pianos (1 cd Odradek, 2008)

 

_________________________

 

 

Derniers articles

CRITIQUE, concert. ORCHESTRE NATIONAL de LILLE, le 4 juin 2025. R. STRAUSS, MOZART, MOUSSORGSKI… David Reiland (direction)

Le dernier grand programme symphonique de l'Orchestre National de Lille dans le cadre de sa saison 2024-2025 se déroule...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img