Un des chefs-d’œuvre de Giuseppe Verdi revient à l’affiche de l’Opéra de Paris, Rigoletto, dans la mise en scène de Claus Guth, créée en 2016 et reprise pour la seconde fois cette saison. Si la production n’est pas nouvelle, elle s’avère toujours aussi efficace et intéressante : une mise en scène moderne qui sert parfaitement l’œuvre, sans tomber dans un classicisme ronronnant, ni à chercher à raconter une autre histoire que celle du livret.
L’opéra s’ouvre avec la présence d’un acteur, double de Rigoletto vieilli (interprété par Henri Bernard Guizirian), portant au bras le lourd carton de ses souvenirs. Il en tire sa veste de bouffon, puis la frêle robe blanche tachée de sang de Gilda. De ce carton ouvert ressortent tous les souvenirs obsessionnels d’un père brisé. Derrière lui, le carton gigantesque qui compose la scénographie s’ouvre d’abord vers le haut puis sur les côtés. La cour de Mantoue est rassemblée à l’intérieur, comme une caisse de tristes jouets qui encombre un grenier. Les costumes sont issus de la Renaissance, tandis que la direction d’acteurs est réglée avec beaucoup d’équilibre, les chanteurs étant toujours à l’aise pour s’exprimer.
Dmitry Korchak (Le Duc de Mantoue) joue admirablement son personnage détestable, dégageant par ses mouvements une dégoûtante assurance, pleine de prétention. Si les qualités d’acteur du ténor sont indéniables, et que sa voix est très belle, il lui arrive cependant d’être en retard avec l’orchestre. Le chœur maison, que l’on sait parfois réticent au jeu scénique, est plus vivant qu’à son habitude, jouant des sentiments de surprise et de frayeur à l’arrivée de Monterone, glaçant Daniel Giulianini à la diction parfaite et au timbre précis. Frappé par la malédiction, Rigoletto – incarné par Georges Gagnidze – apparaît abattu, comme le souffle coupé. Nous apprenons à l’entracte que le rôle-titre est souffrant, mais qu’il assurera tout de même l’intégralité de la représentation… ce qui peut expliquer le léger voile sur sa voix, sans obérer les grandes qualités artistique et vocale du baryton géorgien. Gilda est interprétée par la très « callasienne » Slàvka Zámečníková. Tout lui semble naturel et facile, l’air “Caro Nome” est chanté avec le détachement candide et charmant d’une adolescente devenant femme. Brillante idée à ce moment, où Rigoletto ne regarde jamais directement sa fille, car il ne la voit pas, mais seulement des doubles de Gilda, enfant ou adolescente. Les trois doubles de Gilda sont élèves à l’école de danse de l’Opéra de Paris : elles dansent avec grâce et innocence. Gilda, devenue adulte, les quitte. L’enlèvement de Gilda est également porté par une magnifique idée de mise en scène, où les chœurs sont vêtus de noir et sont masqués de blanc, distillant une atmosphère à la fois infernale et élégante. Sparafucile est interprété par la basse russe Alexander Tsymbalyuk, hiératique et discret, comme doit être un bon tueur à gages. La voix est pleine et sonore, mais la diction approximative. Enfin Maddalena se fait terriblement méchante et diabolique, sous les traits de Justina Gringytė.
Le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Paris s’avèrent à la fois précis et lyriques, sous la baguette du chef italien Andrea Battistoni. Pendant l’ouverture, vibrante, il ose des nuances forte sans concession, laissant pleinement s’exprimer les passions propres à la partition de Verdi. Lors des airs et des chœurs, l’orchestre ne se fait pas bêtement un accompagnateur discret mais se pose un véritable acteur du drame, riche et éloquent à la fois !
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 10 mai 2025. VERDI : Rigoletto. G. Gagnidze, S. Zamecnikova, D. Korchak… Andrea Battistoni / Claus Guth. Crédit photographique © Benoîte Fanton