Pour ce nouveau concert symphonique à l’Auditorium de Lyon, l’émotion est palpable dès les premières notes : David Grimal, avec sa double casquette de soliste et chef d’orchestre (depuis son violon), offre au public lyonnais une performance magistrale, mêlant prouesse technique et profondeur expressive. Le programme, audacieux et poignant, juxtaposent le Concerto pour violon de Johannes Brahms et la Symphonie n°11 « L’Année 1905 » de Dmitri Chostakovitch – deux monuments de l’histoire musicale, interprétés avec une intensité rare.
Dès l’attaque des premiers accords de la phalange lyonnaise dans le Concerto pour violon en ré majeur de Brahms, l’alchimie fut immédiate. David Grimal, en soliste, a imposé un son à la fois puissant et délicat, naviguant entre la virtuosité étincelante du premier mouvement et le lyrisme envoûtant de l’Adagio. Son jeu, d’une précision diabolique, transcende la partition : les doubles cordes résonnent avec une clarté cristalline, tandis que les passages en pianissimo semblent suspendre le temps. La complicité avec l’Orchestre national de Lyon est évidente. Dirigé debout depuis son violon – une prouesse en soi –, Grimal a insufflé une dynamique organique, presque conversationnelle, entre l’orchestre et lui. Le dialogue avec les bois (notamment la sublime réponse du hautbois dans le deuxième mouvement) fut un moment de grâce pure. Le finale, noté Allegro giocoso, a emporté l’adhésion du public par son énergie follement contagieuse, conclue par une véritable ovation.
Si Brahms avait enflammé la salle, Chostakovitch l’a ensuite glacée d’effroi – et fascinée par son souffle épique. La Symphonie n°11 « L’Année 1905 », dédiée à la répression sanglante de la révolution russe, est une œuvre cinématographique, presque visuelle. Sous la direction de Grimal – dirigeant cette fois assis en tant que premier violon super soliste -, l’Orchestre National de Lyon déploie une palette sonore d’une richesse inouïe. Dès le premier mouvement (“Le Palais d’Hiver”) – une plaine sonore glaciale parcourue de murmures inquiétants –, les cordes en sourdine créent une atmosphère oppressante, tandis que les cuivres, d’une précision militaire, annoncent l’orage. Le deuxième mouvement (“Le 9 Janvier”), explosion de violence orchestrale, sonne comme un tourbillon de fureur : les percussions (timbales, caisse claire, gong) martèlent une marche funèbre, les cordes déchirent l’espace, et les trompettes semblent crier la révolte. Grimal, en chef inspiré, magnifie les contrastes : les moments de silence pesant (comme avant la fusillade) sont aussi saisissants que les déferlements orchestraux. La mélodie révolutionnaire « Écoutez ! », reprise en leitmotiv, gagne en puissance tragique à chaque retour. Quant à l’apothéose finale, entre résignation et espoir, elle laisse la salle sous le choc – avant un tonnerre d’applaudissements, et un public qui sort ébranlé, transporté, et visiblement conquis. Un sans-faute artistique, qui confirme une fois de plus que la musique symphonique, quand elle est servie avec une telle passion, reste une expérience inégalable.
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CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, le 5 avril 2025. BRAHMS / CHOSTAKOVITCH. Orchestre National de Lyon, David Grimal (violon solo et direction). Crédit photographique © Emmanuel Andrieu