Prouesse symphonique et chorale
Sollicité en 2011, le compositeur contemporain Thomas Daniel Schlee (né en 1957) a écrit une courte pièce Was wir sind, opus 77 dont la matière poétique offre un voyage en forme de dialogue perpétuel entre les vivants et les morts, l’état d’enfance et la fin de tout un cycle terrestre. La matière musicale s’appuie sur les textes de Linus Kefer, Paul Fleming, Rainer Maria Rilke, et le compositeur très inspiré par son sujet prend soin de préciser le choix du titre de l’ouvrage en création: « Ce que nous sommes, vous l’étiez; Ce que vous êtes, nous le serons ». Pour exprimer le souffle d’une partition qui tend à l’élévation (reprise de l’introduction en guise de conclusion), le compositeur veille en particulier à l’équilibre entre instruments et voix, un travail fondé sur la clarté et la transparence auquel George Pehlivanian apporte un souci particulier: jamais couvertes par l’orchestre, les voix des choeurs d’enfants réunis à la Trinité produisent ce voile sonore prenant qui diffuse dans toute la nef; chant de prière et de méditation apaisée ou inquiète (Rilke), exclamation plus théâtralisée voire amère et mordante où l’innocence est détruite par la découverte d’un temps inéluctable et précipité (admirable poème du baroque Paul Fleming 1609-1640 dont l’acuité de la clairvoyance constitue la dramaturgie de la partie III et préserve à la partition, son sens fascinant).
Inspiré par Pierre Monteux, fondateur en 1929 de l’Orchestre Symphonique de Paris qui regroupait alors les meilleurs solistes pour des concerts de qualité, George Pehlivanian déploie les mêmes qualités interprétatives que celles constatées quand nous l’écoutions pour la création à l’Opéra de Metz, du Jour des meutres dans l’histoire d’Hamlet, nouvel opéra de Pierre Thilloy (mars 2011): un geste franc et direct, une poigne électrisante dès le premier mouvement de la 4è Symphonie de Mendelsohn dont il sait révéler le jaillissement printanier, la sève flexible et coulante, la motricité rythmique, un allant intense et musclé souvent irrésistible. Le Berlinois découvre alors le soleil et les couleurs italiennes, l’énergie des terres méditerranéennes lors d’un séjour décisif qui précède la création de la Symphonie en 1830. C’est ce choc et cette découverte que nous fait entendre le maestro, par ailleurs excellent chef lyrique (Ernani puis Jenufa à l’Opéra de Tel Aviv en 2011 puis 2012…). George Pehlivanian, violoniste de formation vient aussi de créer en avril 2011, le Touquet International Music Masters, festival unique qui regroupe les orchestres nationaux des jeunes d’Europe, tout en proposant un cycle de formation pour les futurs grands maestros de demain. La transmission et la professionnalisation sont toujours au coeur de ses activités. A la Trinité, le chef rappelle son attachement à la création, et sur le métier d’une Italienne parfois échevelée, le musicien se distingue par la maîtrise d’une direction vive et engagée qui sait aussi être caressante et tendre (chant des processions de pèlerins à Naples dans le second mouvement, andante con moto; douceur intériorisée de la conversation romaine, très élégante, du 3 è mouvement, con moto moderato...).
Paris. Eglise de la Trinité, le 16 septembre 2011. Thomas Daniel Schlee: Was wir sind, pour choeurs d’enfants et orchestre, opus 77 (création française). Mendelssohn: Symphonie n°4, « Italienne » (1830). Choristes français et allemands des collèges Paul Bert (Paris, 14ème ardt), Lamartine (Paris, 9ème ardt), et du Werner-Heisenberg Gymnasium de Weinheim. Best musicians of the world. George Pehlivanian, direction.