Âpreté originelle jubilatoire
Or c’est justement sa verdeur première, son réalisme expressionniste, sa franchise parfois brutale et barbare qui accrédite ici l’option musicale. Jamais le théâtre de Moussorgski n’a paru plus intense et cohérent, d’une vision sans apprêt sur la nature humaine, la folie que suscite le pouvoir, la versatilité des peuples, vindicatifs quand ils souffrent, soumis dès qu’ils se trouvent un nouveau leader… Noseda architecture toute la direction sur la puissance et la subtilité d’une orchestration au premier abord tranchante et percussive, mais au final juste et si géniale. Les confrontations entre personnages (Boris et l’aveugle sur le parvis de la Cathédrale Saint-Basile), la profondeur régénérée des caractères, dont évidemment le profil de Boris, Tsar dérisoire, rattrapé par la malédiction divine, est passionnante.
Toute l’action est portée par la rudesse étincelante de l’orchestre… et la justesse du chant en particulier du rôle-titre: la basse Orlin Anastassov campe son personnage, superbe et dévoré, solitaire et impuissant, avec une force charismatique évidente, défendue d’abord par la noblesse naturelle de son timbre. Toute la distribution est plus qu’honorable et les chanteurs sont comme les choristes, de vrais acteurs (y compris au moment des saluts). Magistral.
Modest Moussorgski: Boris Godounov (nouvelle version critique de la partition originale de 1869). Orlin Anastassov, Boris Godunov. Alessandra Marianelli, Xenia. Pavel Zubov, Fyodor. Ian Storey, Grigory. Vladimir Vaneev, Pimen. Peter Bronder, Prince Shuisky… Choeur d’enfants du Teatro Regio et du Conservatoire Giuseppe Verdi, choeur et orchestre du Teatro Regio Turin. Gianandrea Noseda, direction. Andrei Konchalovsky, mise en scène