samedi 5 juillet 2025

Verbier. Les 25 et 26 juillet 2011. K.Buniatishvili, M.Maisky,V.Sokolov (Fauré, Franck, Chostakovitch). M.Schade, J.Zeyen (lieder). D.Matsuev, piano (Tchaikovski, Liszt, …). K.Buniatishvili, piano (Liszt, Stravinsky, Prokofiev)

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Clôture du petit séjour sous les nuages de Verbier : trois Russes en superbes duo et trio, ténor et pianiste compagnons très accordés de Mozart à Ravel, et encore deux Russes au piano, concertistes en force…et aux limites.

La petite phrase

On attendait Gidon Kremer, mais le violoniste, malade, a dû se faire remplacer par Valeryi Sokolov. Exit aussi la violoncelliste Giedre Dirvanauskaute, partenaire privilégiée de G.Kremer, avec qui elle devait jouer des partitions rares d’Enesco et de V.Kissine. Demeure la pianiste géorgienne, cet été tout auréolée de la Fama des Latins, renommée bonne ( ou mauvaise, quand le destin en décide ainsi !). C’est d’abord avec le Père de la Musique à Verbier, MIcha Maisky, qu’ils commencent par deux Fauré, Après un rêve, et l’Elégie, souvent galvaudée en musique de brasserie, mais ici rendue à la pureté originelle du son et à son éloquence. Il est plaisant de voir Maisky, plus russe que russe avec son ample chemise turquoise, donner réplique à la pianiste en audacieuse robe de plage (des neiges ?), évoquant de fort loin « la plaintive élégie en longs habits de deuil »…En tout cas on admire, là et dans Franck, la plénitude absolue du violoncelle et l’autorité spectaculaire du piano. En cette première partie du concert, on est placé sous le signe de La Recherche du Temps Perdu – Vinteuil, alias Fauré et Franck pour une certaine « petite phrase »… et ce duo fascine. Le piano a des grondements de torrent, il sait aussi enjôler ; M.Maisky se met en oraison de la main gauche en l’écoutant énoncer les bribes du Thème glorieux. Puis le violoncelle (« remplaçant » le violon originel, cela donne une gravité d’autre nature) trouve des dictions, des timbres d’une stupéfiante nouveauté.

Lever de soleil et carillons

Si c’était allemand et schumannien, on dirait que c’est « rasch » (emporté-passionné), et on croirait déjà entendre que « la mer est plus belle que les cathédrales », le piano fouettant d’embruns cette Côte Sauvage franckiste. Si monde de « la petite phrase » il y a bien, c’est avec une parfaite simplicité d’évidence que chacun vient l’explorer du plus profond de son instrument. Quant au 2e trio de Chostakovitch – où intervient donc V.Sokolov – , il est aussi admirable de pensée musicale. Dès l’allegro, quelque chose sort de l’ombre nocturne – un lever de soleil en montagne, enfin, dans ce juillet maussade ! -, plus loin des carillons kremlinesques se déchaînent dans le piano. Les accords scandent solennellement le Temps comme dans Boris Godounov, permettant le chant lyrique du violon repris par le violoncelle. Au finale, M.Maisky se dépasse en bûcheron aux grands coups d’archet, le violon poétise, et tous concluent en équivoque fin qui rappelle le choral initial… (25 juillet, 11h)

Bien-Aimée Absente et Ravel grec

En soirée, ce devait être duo de chant, mais Thomas Quasthoff a dû renoncer (le climat a encore frappé ?), laissant son partenaire Michael Schade jouer le solo vocal. Justus Zeyen « accompagne », terme très inadéquat pour désigner un pianiste véritable compagnon, subtil et rayonnant, du chant profond et moiré qui est celui du ténor canadien. Ce qui ne gâte rien, les interventions d’humour et incluant l’amitié amusée envers « Tommy » (Thomas Quasthoff, bien sûr, présent-absent) montrent un M.Schade au mieux de sa vocation théâtrale. Des visages de Mozart, une Violette aux beaux sons gourmands de la poésie inspiratrice, la bergerie galante de A Chloé joue le jeu de la passion feinte, A Zither sur le fil du murmure harmonieux. Impression du soir est déjà pré-romantique, entre Tamino et Ferrando… Chez Schubert, on voyage entre ampleur généreuse des invocations à Dieu et la Nature et à des paysages suspendus en rêverie, avant de revenir, plus détendu, à des variations sur le thème de « Franz et ses amours »… La science est saisissante dans La Bien-Aimée Absente de Beethoven ( l’amour est là, juste derrière les montagnes si ennuagées…), l’opéra de poche si bien incarné par M.Schade fait saisir l’enjeu vital qui s’appellera Fidelio…En Schumann, extase amoureuse de 1840, souci de ne pas quitter le rêve éveillé de la passion…,puis incursion au siècle suivant avec un Ravel hellénise, du parlé-joué-chanté sous le masque populaire, et retour à Liszt dans son immense éloquence vocale et pianistique (l’opéra qu’il n’écrivit jamais !)… Piano-orchestre, bel canto sans frein, et pourtant conclusion dans le mystère de l’imperceptible pianistique. Devant la foule déchaînée de légitime enthousiasme, deux bis : un Beethoven souriant, et tout à coup un bouleversant Mondnacht, Hymne schumannien à la Nuit perpétuellement recommencée, image de l’éternel retour vocal, murmure égrené du piano dans l’extatique Nature… (25 juillet 20h)

Un prodige russe en Saisons

Pour clore ce séjour, deux visages ultra-russes du jeune piano de « là-bas ». Après l’aube et presque à midi sur la mer faussement estivale, voici le mufle beethovénien à la Guilels du prodige Denis Matsuev. Le lauréat du 11e Concours rend d‘abord longuement hommage à Tchaikovski, avec le cycle des (4)Saisons et des 12 mois. Ce sont Tableaux de mini-expositions, qu’on joue rarement en intégrale, du moins à l’ouest… Cela n’a certes pas l’ampleur visionnaire des Tableaux de Moussorgski, mais est très séduisant, et riche en sensations symboliques devant des « paysages » de la vie traditionnelle russe. Les moyens du pianiste, qui se révéleront diaboliques dans Liszt et Stravinsky, sont ici en kaléidoscope constamment pertinent. On y admire un Carnaval éblouissant, une tendre Alouette, des Nuits Blanches où passent les fantômes pétersbourgeois de Gogol et Dostoievski, une Barcarolle avec charme sur la lagune puis orage de théâtre, un Chant d’octobre apaisé en mélancolie de saison qui retombe, un Noël de confiante intimité familiale qui éclate en joie….

L’échelle de Richter

Après entracte, on entre en génie lisztien, quelque part entre Docteur Jekyll-Franz et Mr Hyde-Mephisto. La cruauté, la force sarcastique, la fureur laissent dans l’ahurissement devant la virtuosité d’une puissance pleinement signifiante : voilà bien « L’Esprit qui toujours nie », s’autodétruit avec délectation, et nous assistons stupéfaits à cette entreprise un rien folle du pianiste…Il y a des « virtuoses » (comme des sportifs) « de l’extrême », mais D.Matsuev ne grimace pas pour autant et ne s’affiche pas en héros de l’acrobatie. Pas davantage avec les Scènes de Petrouchka où Stravinsky paraît dans toute sa sauvagerie. D.Matsuev recrée là un piano-espace très moderne…Pourquoi ces délices et délires si goûtés du public ne pourraient-ils « servir » à acclimater ici les beautés réputées peu accessibles de Xenakis, Stockhausen ou Ligeti et de leurs « héritiers » ? D.Matsuev, en tout cas , soliste à 8 sur l’échelle de Richter pianistique, donne des bis sans compter ( 5, 6, 7 ?), de l’imperceptible murmure au retour du fracas (humoristique), de Liszt à Grieg en passant par un jazz revigorant et distancié…(26 juillet, 11h)

Assumer, assurer, assujettir…

Reste le cas Buniatishvili-soliste. La pianiste géorgienne, hier sans doute « tenue » par la présence de M.Maisky et V.Sokolov, est cette fois « libre » d’assumer, assurer, assaillir, asséner,asservir, assujettir, assourdir, et tout ce que contient le dictionnaire à cette page en ass, mais pourra-t-elle un jour (s’)assagir en sa dévoration jubilante des triples fff, ppp et croches ? Le programme de son récital (dans la série « une heure avec « !) tient déjà de l’exploit : la Sonate de Liszt, la 7e de Prokofiev, Petrouchka, une Balla de de Chopin.. Le public est conquis d’avance, attiré par un effet publicitaire dont certains feraient bien de se méfier en ces temps de marchandisation du sujet-objet artistique et de jetable sans pitié… Bien sûr, il n’est pas question de nier les dons assez stupéfiants de la si jeune pianiste (24 ans !) : vélocité, technique digitale, sonorité par phases subtile, sens du contraste architectural et expressif, générosité boulimique de partitions. Mais la Sonate, la grandiose, l’irremplaçable, la pierre noire et la météorite de Franz Liszt, testament et prophétie au milieu du XIXe, est ici réduite à un catalogue d’Etudes en Exécution Transcendantale ( c’est autre chose , la vraie Transcendance !) qui nie la dimension philosophique de cette œuvre-phare. La « lecture » de K.Buniatishvili fait de la marqueterie pyrotechnique, assène des coups très brutaux, se met en déflagration puis au ralenti, sans vision d’ensemble, en quelque sorte à l’aveuglette… En y ajoutant une gestuelle du visage, du buste et des bras d’une éloquence très appuyée, la pianiste donne l’impression qu’elle désire surtout se réincarner en Franz…

Où vais-je ? Je ne sais….

Après ces orgies, la 4e Ballade de Chopin constitue un havre de tranquillité … relative, sans qu’il faille parler d’un miracle de sérénité interprétative. Et on repart dans la démesure… La 7e Sonate de Prokofiev a une belle couleur de clairière dans le bois de bouleaux pour son andante, mais le reste y cède aux démons de la vitesse bousculée. Quant à Petrouchka-bis (après D. Matsuev), ce n’est que corps-à-cœur sauvage et scénario-overdosé. « Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé D’un souffle impétueux, d’un destin insensé », chante un héros hugolien…. dont la pianiste serait peut-être bien inspirée de méditer le questionnement. Et si, pour quelques mois, répudiant les triomphes précoces ou les laudations artificielles et égarantes (du genre « la nouvelle Martha Argerich »), elle prenait quelque année sabbatique de réflexion ? Cela aurait du panache, de l’héroïsme même, et on en parlerait… autant ! (26 juillet, 14h30)

Festival de Verbier (Suisse), 25 et 26 juillet 2011. K.Buniatishvili, M.Maisky, V.Sokolov : sonates et trio de Fauré, Franck et Chostakovitch. M.Schade (ténor) et J.Zeyen (piano) : lieder et mélodies de Mozart à Ravel. D.Matsuev (piano) : Tchaikovski, Liszt, Stravinsky. K.Buniatishvili (piano) : Liszt, Prokofiev, Stravinsky.

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