Daniel Kawka dirige Pierre Boulez
Formidable incursion dans l’écriture de Pierre Boulez: Daniel Kawka est sans aucun doute l’un des interprètes les plus passionnés et naturellement, par voie de conséquence, les plus convaincants dans l’interprétation des oeuvres du compositeurs français, aujourd’hui octogénaire. A Montbrison, non loin de Saint-Etienne où l’Ensemble Orchestral contemporain qu’il a fondé a sa résidence à l’Opéra Théâtre, il s’agissait de rendre hommage au musicien dans sa ville natale; un hommage d’autant plus marquant que Pierre Boulez a fait le déplacement, impliqué comme au premier jour pour accompagner voire enrichir le geste de Daniel Kawka lors d’une répétition d’orchestre ouverte au public où étaient abordées en particulier Dérive I et Dérive II, cette dernière oeuvre, sujet de reprises et corrections du maître sur une durée de 20 ans.
Reconnu pour cet approfondissement spécifique, une tenue impeccable sachant dépasser la stricte exécution pour atteindre le coeur poétique des oeuvres choisies, lui-même maestro reconnu à l’international jusqu’en Corée dernièrement où il dirigeait la création coréenne (Seoul), de Dialogues des Carmélites, Daniel Kawka poursuit sa route constellée depuis la saion dernière de reconnaissance et d’accomplissement multiples, qui font de lui l’une des baguettes françaises les plus intéressantes de l’heure. Le chef avait assuré un Tristan d’anthologie à Dijon (production d’Olivier Py repris à Angers Nantes Opéra avant Dijon): on se souvient d’un second acte inoubliable grâce à ce travail sur la continuité organique, sur la couleur et la ligne dramatique, un constellation d’accents et de transitions admirablement ciselés, entre autres. Wagnérien dans l’âme, le chef nous promet encore beaucoup d’autres réalisations de première qualité dont à venir pour le centenaire Wagner en 2013, une Tétralogie événement annoncée déjà à Dijon, et aussi son premier Parsifal (production créée à Bruxelles à La Monnaie en mai dernier). Le charisme de Daniel Kawka a déjà confirmé sa stature internationale: il dirigera ainsi la création de l’opéra méconnu de Debussy, Rodrigue et Chimène en décembre 2011 à Moscou: un nouvel événement lyrique dont nous reparlerons évidemment.
Pour l’heure à Montbrison, Daniel Kawka s’attache avec ses musiciens de l’EOC (Ensemble orchestral Contemporain qu’il a fondé en 1992) à exprimer ce point d’accomplissement ténu entre verticalité et flexibilité du flux, mécanique rythmique infaillible et millimétrée, et nuance qui fait les très grands chefs, déroulement naturel entre respiration et liberté; rien de plus délicat à réaliser dans l’écriture de Boulez, d’autant plus en présence du compositeur dont on sait le scrupule et l’exigence. Surtout vis à vis de ses propres oeuvres. Chef et instrumentistes écoutent les commentaires de l’auteur jamais péremptoire, toujours constructif.
L’hommage de Pierre Boulez
Il en découle un sûreté du trait encore plus grande, une compréhension plus profonde encore face à une musique dont Daniel Kawka aime à souligner combien il prend plaisir à la diriger car il y relève la présence d’une culture impressionnante qui semble récapituler toute l’histoire de la musique française. Dans Dérive I, Daniel Kawka éclaire la recherche de la couleur et ce caractère de transparence lumineuse, flottante, des timbres en réponses, presque d’évanescence qui confine au mystère et à l’irrésolu: une esthétique évidemment marquée par l’Orient (comme le précise lui-même Boulez). Dans Dérive II, partition a contrario plus vaste (Dérive I dure à peine 7 mn quand Dérive II dépasse les 40 mn), c’est un défi permanent pour le chef appelé à suivre les changements incessants de tempi, les indications dynamiques multiples contenues dans l’espace d’une seule mesure, la continuité contrastée et presque cyclique entre épisodes énergiques de plus en plus accélérés et la reprise d’un temps immuable. Tout cela exige un travail d’orfèvre, une compréhension mutuelle exceptionnelle, une qualité d’écoute interne et collective difficile à trouver aujourd’hui dans les formations musicales… Voilà pourquoi l’auteur lui-même n’a souhaité la diriger qu’avec un seule et unique collectif: les instrumentistes de l’Intercontemporain qu’il connaît bien et avec lesquels s’est construite sur le long terme, ce vrai travail d’accompagnement et d’approfondissement dont nous parlions au préalable: trop de travail, trop de séances préparatoires à vaincre et à surpasser pour un résultat qui s’impose, comme ici à Montbrison, au prix d’une concentration sur la durée et dans le partage.
En fin de séance, Pierre Boulez a vivement félicité les musiciens de l’Ensemble Orchestral Contemporain. Mieux, relevant la difficulté des partitions choisies, cautionnant le résultat atteint, le maître a confirmé qu’il n’y avait rien à redire ni reprendre. Peut-on imaginer pour Daniel Kawka et son ensemble, meilleure caution et plus bel hommage, en retour?
Fort heureusement, chef et ensemble enregistrent pour Naïve, Dérive I et Dérive II couplés avec « Memoriale »; ce, dans la foulée des concerts à Montbrison, profitant des enrichissements de l’auteur. Le disque est annoncé au premier trimestre 2012.
Après une Turandot (Busoni) saisissante (Dijon, mai 2011), Daniel Kawka dirige la reprise de la production événement du Château de Barbe-Bleue de Bartok pour Angers Nantes Opéra, en octobre 2011 (Patrice Caurier et Moshe Leiser, mise en scène). Autre événement lyrique absolument incontournable de la nouvelle saison lyrique à Angers et à Nantes. Les caméras de classiquenews étaient présentes lors des séances d’enregistrement de Dérive I (1984) et Dérive II (1988-2006) par l’Ensemble Orchestral Contemporain et Daniel Kawka. Prochain reportage vidéo à venir sur le travail de l’orchestre et le regard spécifique de Daniel Kawka sur les oeuvres de Pierre Boulez.
Montbrison (42). Salle Guy Poirieux, du 13 au 18 juin 2011. Pierre Boulez: Dérive I, Dérive II, Mémoriale. Ensemble Orchestral contemporain. Daniel Kawka, direction. En présence de Pierre Boulez (séances de répétition publique).
