« Lucia ? Je ne suis pas un juke-box ! »
Il est vrai qu’après Orange, les Marseillais l’ont découverte à l’Opéra dans une incarnation hallucinante de vérité hallucinatoire dans cette mémorable Lucia de Lammermoor. On l’y a pu encore admirer dans Ophélie du Hamlet d’Ambroise Thomas. Aux Chorégies d’Orange, nous l’avons applaudie aussi dans Traviata, et à Avignon, dans Les Pêcheurs de perles, Manon et nous avons rendu compte de ses magnifiques interprétations. On l’entendra encore à Marseille dans Roméo et Juliette et, à Orange, dans Rigoletto.
Ici, en seconde partie, de noir vêtue, elle offre une panoplie de ces rôles tragiques du romantisme généralement prétextes aux compositeurs du temps d’en faire des morceaux de bravoure, avec de fameuses scènes de folie que s’arrachaient les plus fameuses cantatrices, occasion pour elles de faire étalage de leur maîtrise vocale, de leur virtuosité, avec toute une pyrotechnie de vocalises, de notes piquées, de fusées, roulades, glissandi, sauts et autres agréments acrobatiques du chant placés, après un premier mouvement, dans les cabalettes finales. Vertigineuse virtuosité pure que l’air de Fiorilla de Il turco in Italia opéra-bouffe de Rossini, de demi-caractère dans la Marie de La Fille du régiment. La tragédie et le délire fondent les vocalises dont se hérisse le rôle de Maria Stuart dans la Maria Stuarda de Donizetti, la reine perdant la tête avant de la perdre tout court. Toute la technique impeccable de Ciofi est là. Mais avec l’air de Juliette des Capuleti e Montecchi de Bellini, le grand arc lyrique bellinien devient poésie vocale pure dans la voix de Patrizia qui nous transmet toute la nostalgie douce et mélancolique des grandes âmes trahies par la vie dans l’air rêveur de La Sonnambula.
En robe rouge, dans la première partie, elle nous avait gratifiés de trois mélodies de Fauré chantées comme une confidence, comme en un rêve et l’on entendait l’eau vraiment murmurer dans son tendre roucoulis d’Au bord de l’eau. Même charme dans la sorte de berceuse au vague tempo d’habanera d’amour de Hai Luli de la grande Pauline Viardot. Même enchantement avec deux mélodies de Duparc et le rayonnement vocal délicieux et malicieux des Filles de Cadix de Delibes.
Une pianiste, active et attentive partenaire, dont on sentait le bonheur pianistique dans ces mélodies au piano savant, Carmen Santoro, auréolait de son talent cet exceptionnel récital.
Marseille. Théâtre du Gymnase, le 2 mai 2011. Mélodies de Delibes, Duparc, Fauré, Viardot ; airs, de Bellini, Donizetti, Rossini. Patrizia Ciofi, soprano, Carmen Santoro, piano.
Photo Borghese: Patricia Ciofi