mardi 6 mai 2025

Venise. Festival « Du Second Empire à la Troisième République ». Journée inaugurale du 12 avril 2011. Palazzetto Bru Zane: conférence (18h). Concert Dukas à la Scuola Grande di San Rocco (20h)…

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Journée inaugurale
Venise. Festival du Second Empire à la Troisieme République. Journée inaugurale du 12 avril 2011. Palazzetto Bru Zane, conférence à 18h. Scuola Grande di San Rocco, concert Dukas à 20h.


Nouveau pèlerinage « romantique et français » à Venise

Venise. Palazzetto Bru Zane, 18h. Soucieux d’apporter l’explication juste au bon moment, le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française présente en accès libre, une conférence sur le Prix de Rome: un sujet mésestimé depuis des lustres mais qu’Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du Centre, entend rétablir pour ce qu’il est: une pépinière de talents décisifs voire de génies à l’aube de leur carrière… C’est un système bien français d’émulation et de distinction des compositeurs les plus motivés et qui menant au fameux séjour à la Villa Médicis à Rome, scelle encore et toujours dans l’histoire des arts, la relation permanente entre la France et l’Italie.
On ne doit plus s ‘étonner ainsi de l’existence d’un Centre dédié à la musique française à… Venise. Son offre de concerts (souvent des programmes inédits et des recréations savoureuses) se révéle d’autant plus passionnante que les œuvres dévoilées sont jouées dans des lieux idoines et parfois surprenants, souvent d’une beauté à couper le souffle, car il faut bien le reconnaître : vivre à Venise la redécouverte des compositeurs français, relève souvent d’une expérience esthétique et donc musicale, unique voire inoubliable. Ici d’avril à juin 2011, Tintoret s’éclaircit au diapason de Bizet, Dukas ou de Saint-Saëns…, Titien (dont le chef d’oeuvre absolu demeure l’Assunta à la Basilique des Frari) rafraîchit ses couleurs aux sons des motets de Paladilhe, … Programmes étonnants, défricheurs, captivants… de quoi vivre à Venise, ce choc esthétique dont tous les grands écrivains et les esthètes du monde entier et de toutes époques sont encore aujourd’hui les victimes… bienheureuses.

Au festivalier favorisé, le temps du cycle musical, de choisir les étapes de son nouveau pèlerinage « romantique et français » à Venise: chambrisme exalté et scintillant dans la salle de concert du Palazzetto Bru Zane lui-même, ou grands concerts lyriques et symphoniques à la Scuola grande San Giovanni Evangelista, à San Rocco, sous les Tintoret les plus impressionnants de Venise, sans omettre les œuvres chorales et pour orgue… à la Basilique des Frari (nouveau lieu investi cette année).


Préambule explicatif

Aux concerts découvertes, le Centre offre à présent d’autres rendez-vous complémentaires, comme des conférences expliquant l’enjeu des programmes du Festival. Ainsi en prélude explicatif à l’événement de la soirée du 12 avril dernier, qui est la création de la cantate du jeune Paul Dukas, Velléda (1888), dans sa version pour orchestre (et quel orchestre), Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du Centre de musique romantique francaise, évoque quelques aspect de ce Concours à la française auquel de nombreux génies de la musique décidèrent de participer, à tort ou à raison, avec succès ou comme c’est le cas de Dukas, … sévère infortune.


Dukas, second Prix

Le cas de Dukas est éloquent: trop moderne voire expérimentale, Velléda est déclassée à la … deuxième position, et le compositeur qui souhaitait séjourner à Rome, ne se présenta plus jamais au Concours.
Il nous reste aujourd’hui un drame lyrique pour grand orchestre et 3 voix dont le souffle puissant et tragique, ce souci particulier de Dukas pour les atmosphères et la poésie entre effusion tendre (duo Velléda et Eudore) et le fantastique (évocation très subtile de la relation de la vestale à la nature, sorte d’esprit flottant sur les eaux (« Je suis la fée aux ailes d’or/Le front couronné de verveine… ») affirment un tempérament évident. La résurrection est donc légitime.
Tout indique le génie exigeant et pointilleux d’un immense musicien retrouvé, à l’imagination taillée pour la scène: cette Velléda annonce comme une synthèse et une miniature (tant il s’y mêle d’idées et de formules raffinées), Ariane et Barbe Bleue… son grand chef-d’œuvre lyrique de la maturité.
Gustave Charpentier sera plus chanceux: c’est un autre auteur programmé dont l’oeuvre rentre dans le sujet de la conférence. Sa cantate Didon (1887), également inscrite comme un second temps fort pendant notre présence au Festival Du Second Empire à la Troisième République, fait obtenir à son auteur le Premier Prix… là aussi, l’écriture confirme la singularité musicale du compositeur: un maître des passions humaines et comme l’a montré Alexandre Dratwicki, pendant la conférence, un jeune auteur soucieux de comprendre la prosodie et la déclamation élaborées par Lully au XVII ème !
Depuis plusieurs années, le directeur scientifique du Palazzetto mène une recherche approfondie sur le sujet du Prix de Rome: le Concours puis l’obtention du Prix, c’est à dire le séjour du lauréat à Rome comme pensionnaire de la Villa Médicis, signifie un nombre considérable de partitions souvent révélatrices et majeures car elles correspondent aux années de formation des compositeurs les plus doués et les plus originaux… C ‘est à la période romantique et jusqu’au début du XX ème siècle que les apports sont les plus intéressants.
L’éclosion d’une sensibilité se précise confronté à l’obligation d’écrire des formes imposées. Stimulation des contraintes: les jeunes auteurs doivent ainsi produire une cantate c’est à dire un opéra en miniature… sans les chœurs. Car la forme lyrique reste le genre noble par excellence: celui qui apporte par la difficulté qu’il suppose, -obligeant à réussir cette totalité théâtrale, musicale, vocale-, reconnaissance, prestige, titre et gloire.


Cette petite histoire qui fait la grande

Alexandre Dratwicki privilégie non sans raison de nombreuses illustrations dévoilant des aspects méconnus de cette petite histoire qui fait la grande, en l’occurrence la vue des graffitis réalisés par les candidats mis en loge, privés de liberté pendant la vingtaine de jours d’isolement ; ce sont aussi les portraits photographiques, plutôt posés des candidats fixant l’objectif à leur arrivée … Ou encore cette photo de Rabaud jouant du piano dans sa chambre et recevant sa chère mère…. Et cette autre des pensionnaires sautant à la corde… tenue par leurs gardiens… Tout cela ne s’invente pas !

La conférence livre une évocation surprenante d’un concours dont on s’entête à faire la réserve poussiéreuse et passéiste des esthétiques obsolètes… Or à l’inverse, se plonger dans cette aventure humaine et esthétique montre combien d’année en année, le dispositif concentre les écritures les plus engagées, les tempéraments déjà affirmés qui ne demandent qu’à être reconnus!

C’est l’une des voies de recherche que défend aujourd’hui le Palazzetto à Venise: tout un pan du patrimoine musical français est ressuscité apportant son lot des surprises et de découvertes majeures… outre les concerts présentés à Venise et joués aussi ailleurs en Europe et dans le monde, le Palazzetto participe à l’édition de superbes livres-disques, dont une collection dédiée aux oeuvres composées dans le cadre du Prix de Rome: cantates des candidats, ou envois de Rome des lauréats pensionnaires. Déjà deux volumes sont parus, le premier dévoilant le jeune Debussy (Claude Debussy et le Prix de Rome); le second, Saint-Saëns dans le registre lyrique et sacré (Camille Saint-Saëns et le Prix de Rome).

Qui savait jusque là que pendant son séjour à la villa Médicis, Gustave Charpentier, compositeur si engagé sur le plan social et fondateur du conservatoire Mimi Pinson, emprunte dans le fonds de la bibliothèque réservée aux pensionnaires et jusqu’à 10 reprises, les opéras de Rameau et surtout de Lully: l’auteur socialiste de Louise, œuvre si capitale pour l’opéra français, -comme peut l’être Tosca de Puccini pour l’opéra italien, au début du XX ème siècle, a puisé sa modernité dans la connaissance approfondie des opéras baroques français en particulier des tragédies en musique léguées par le Grand Siècle…. Il est vrai que question déclamation et prosodie, aucun auteur hexagonal n’a semblé dépasser la perfection linguistique et musicale du duo Quinault et Lully (écoutez et réécoutez la pureté des récits et des airs d’Atys (1679)… ou ceux d’Armide! Qui aurait dit qu’un romantique voire postromantique du début du XX ème siècle se passionne autant pour Lully?

L’exploration menée par le Palazzetto réserve encore bien des surprises … L’étude systématique des cantates du prix de Rome démontre cet éclectisme passionnant des écritures et des sensibilités qui s’y sont ainsi manifestées ….


Création chaotique

La question de la création des partitions pose un autre problème … majeur. A l’origine jouées voire « interprétées » au seul pianoforte, ou envois de Rome donnés sous la coupole de l’Institut, les oeuvres académiques, étaient ni plus ni moins… massacrées. Comment exprimer ainsi la riche orchestration d’un Berlioz, Dukas, Debussy ? Les conditions réelles de création de tant d’oeuvres si passionnantes demeurent inimaginables et c’est tout l’enjeu (et les bénéfices) des concerts proposés par le Palazzetto que d’en dévoiler les joyaux originels:
voyez ces deux temps forts programmés dans le cadre du nouveau festival : cantate Velléda de Dukas (second prix de Rome, 1889), le 12 avril 2011; Didon de Charpentier, le 17 avril suivant …
La conférence préliminaire explique les enjeux d’une telle recréation, tout en dévoilant pour la première fois une partition majeure dont l’orchestration n’avait jamais été défendue par une formation idoine: l’orchestre Les Siècles (déjà présent en 2010 pour un concert remarquable, « éclectique » comprenant des oeuvres de Fauré: Venise. Scuola Grande di San Rocco. Festival Le pianoforte romantique. Samedi 17 avril 2010.
Auber, Fauré, Rabaud, Dubois, Thomas avec la pianiste Vanessa Wagner au pianoforte
) apporte les bénéfices des instruments d’époque en terme de couleurs, de ciselure renouvelée des phrasés et aussi sur la palette expressive en particulier en terme de dynamique, d’autant que le chef François-Xavier Roth, ne manque pour l’occasion, ni de nerf ni de passion communicante.


Velléda dévoilée

Intensité dramatique, recherche d’atmosphère et de climats psychologiques (début de la cantate), mais aussi fureur (tempête instrumentale qui en rappelle bien d’autres …. héritées du Grand Siècle), avant que ne paraisse la vestale païenne… la révélation est totale: le jeune Dukas dévoile une maestria étonnante dans le format lyrique, et sa Velléda, dévoilée lors du concert inaugural à 20h, annonce Ariane et Barbe Bleue (1907)… D’autant que la créatrice de ce rôle passionnant malgré son développement court, la jeune soprano Chantal Santon, remplaçant au pied levé, la chanteuse initiale, déploie un timbre somptueux et idéalement articulé pour l’incarnation d’une figure féminine qui a l’étoffe des grandes héroïnes tragiques du romantisme : comme Norma, Velléda est une vestale gauloise qui, traitresse à son peuple, convole avec l’occupant romain (ici Eudore qui est de plus un chrétien!). Le destin s’obstine donc à opposer ces deux âmes aimantes: outre l’antagonisme des clans, il s’agit aussi d’une opposition religieuse. Plus lyrique que dramatique, parfois couverte par un orchestre surpuissant (mais jamais épais), la jeune diva, vraie révélation du festival, sait soigner sa diction, colorer et varier son intonation, défendre entre mesure et nuance (y compris son vibrato, souvent systématique chez nombre de ses consoeurs), la justesse de son expressivité: quelle maîtrise! Accordée à la vibrante plasticité d’un orchestre à la fois wagnérien et impressionniste, la recréation est un événement majeur qui reste mémorable…
Gorgé de riches couleurs, d’un dramatisme exalté qui sait éviter toute enflure hollywoodienne (la tentation aurait pu s’accomplir s’agissant du célébrissime Apprenti Sorcier joué avant la cantate), l’Orchestre déploie surtout une fluidité ondulante, d’un orientalisme lascif et animal dans la Bacchanale de Saint-Saëns, extraite de son opéra Samson et Dalila (1877): là aussi, quel coloriste! C’est un bain de somptuosités flamboyantes et vénéneuses auquel François Xavier Roth sait restituer les teintes mordorées et la touche sauvage d’un Delacroix… celui de Sardanapale. En fin de programme, le chef ajoute l’Ouverture de Frithiof, vrai poème symphonique inspiré des légendes scandinaves dans lequel Théodore Dubois, en 1880, mêle les visions de Liszt et ce naturel opulent propre à Saint-Saëns, mais avec un sens de l’équilibre dramatique et de la claire architecture, qui expliquent encore aujourd’hui, le succès de la partition à la fin du XIXè: de son énoncé préliminaire rêveur et suggestif (ample chant de la clarinette au dramatisme enflammé) à son plein développement où retentissent en plusieurs déflagrations, l’éruptif et le lugubre, Dubois nous captive et nous ensorcelle. Force, emportement et souplesse, au service d’un défrichement bénéfique, le geste de Roth séduit définitivement.

Venise. Festival « Du Second Empire à la Troisième République » présenté par le Centre de musique romantique française. Journée inaugurale du 12 avril 2011. Palazzetto Bru Zane: conférence sur le Prix de Rome par Alexandre Dratwicki (18h). Concert à la Scuola Grande di San Rocco (20h). Léo Delibes: Coppelia (suite de danses, 1870). Paul Dukas: L’apprenti sorcier (1897), cantate Velléda (1888). Bizet: extraits de l’Arlésienne. Théodore Dubois: Ouverture de Frithiof (circa 1880). Chantal Santon, soprano. Julien Dran, ténor. Jean-Manuel Candenot, baryton. Les Siècles. François-Xavier Roth, direction.

Venise: festival Du
Second Empire à la Troisième République, Palazzetto Bru Zane, Centre de
musique romantique française, jusqu’au 5 juin 2011.
Toutes les infos, les réservations en ligne, dates, lieux et programmes précis sur le site du Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane:

Illustration: © M. Crosera 2011

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