Perle rossinienne
À Toulouse, la belle production du Teatro communale di Ferrara/Ferrata Musica est très respectueuse de l’esprit rossinien pochardant une Espagne de pure fantaisie poétique. Les décors simples et mobiles jouent sur l’idée d’enfermement et de recherche d’horizons. Très belle bibliothèque fermant le mur de fond de scène ! Ce sont les costumes qui portent en eux cette Espagne si goûteuse. Les succulences d’épices savoureuses qui se dégagent des costumes d’Annamaria Heinrich de la Sartoria Farani di Roma méritent une mention particulière tant ils participent à la virtuosité de la mise en scène, caractérisant à merveille chaque personnage. Les acteurs s’y meuvent avec un bonheur rare. L’oeil est à la fête comme rarement. L’esprit aussi avec une mise en scène et des rapports entre les personnages très finement analysés et réalisés par Stefano Vizioli. Du vrai théâtre, aussi vif et joyeux en apparence que mélancolique par instants car il s’agit d’enfermements et de recherche de liberté, et d’espoirs dans l’Amour, nul ne l’oublie !
Les chanteurs choisis sont tous d’excellents acteurs, et sont rompus aux terribles exigences vocales des rôles. Même Bartolo qui exige tant est ce soir excellent chanteur avec un air « A un dottor della mia sorte » stylistiquement parfait ! La Rosine de Maite Beaumont est belle à croquer, vive, intelligente et touchante dans sa revendication à aimer et vivre librement. La voix agréablement timbrée reste jeune et l’habileté des vocalises ravit. En Figaro, Giorgo Caoduro déguste le texte, le magnifie par une présence théâtrale sans histrionisme. La voix est agréable et passe bien. Dmitry Korchak repend la tradition des ténors di Grazia pour le Conte. Vocalises et aigus sont parfaits mais la couleur est un peu fade. Par contre l’acteur est habile, y compris dans les difficiles scènes de travestissements qui jamais ne tombent dans le ridicule. C’est Basilio, avec le grand Giovanni Furlanetto, qui bénéficie le plus de cette caractérisation par le costume. Tartuffe et dévot à la fois, sinistre et élégant de surcroît. Soulignons la qualité des moindres petits rôles, comme Thierry Vincent et Alexandre Durand et parmi ceux-ci une perle : l’air du sorbet de Berta (c’est ainsi que l’on caractérise l’air de Berta, car il ne nuit pas à l’action de l’écouter en dégustant quelque douceur). Scéniquement épatante, la composition de Jeannette Fischer est vocalement inouïe. L’air est certes un régal, mais c’est sa présence vocale dans les ensembles qui est d’une rare précision avec des contre-ut percutants. Une vraie voix et une technique hors pair ! C’est au final cet équilibre parfait entre les chanteurs, évitant Diva et Divo, qui permet à la magie roborative de Rossini de fonctionner comme rarement, dans un esprit de troupe jubilatoire.
Dans la fosse l’Orchestre du Capitole est d’une précision redoutable et colore les sons avec une variété très précieuse. Un très beau travail sur les couleurs des cordes rend vivant l’air de la calomnie qui tant de fois fonctionne comme une scie. Ici Giovanni Furlanetto a un soutient orchestral d’une profondeur inhabituelle. Les bois sont frais, les cuivres brillants sans être rutilants et les cordes ductiles et policées à ravir. La direction de Gianluigi Gelmetti est d’une grande élégance. Il dose les effets avec art, osant des phrasés précis et des nuances audacieuses comme rarement. La partition est ainsi revivifiée et grandie. L’ouverture est un sommet de théâtralité et de beauté de son qui met la barre très haut d’emblée.
Les Chœurs du Capitole ne cessent de progresser en précision et musicalité sous la direction de son chef de chœur, Alfonso Caiani, qui fait un travail en profondeur appréciable.
Les airs sont tous présents et il semble n’exister aucune coupe, le duo final Rosine-Almaviva retrouvant même une partie inconnue. Mais ce sont aussi les récitatifs qui sont (tous ?) restaurés et réalisés par un continuo de grande vitalité avec Robert Gonella au pianoforte et Chritopher Waltham au violoncelle. Jamais l’ennui ne gagne alors que l’action et la musique sont connues par cœur. D’infimes décalages sont la rançon de la Première car on devine que tout va se bonifier au fil des 8 représentations avec deux distributions.
La salle comble du Capitole exulte en applaudissements généreux, rendant aux artistes leur générosité entièrement mise au service de l’ouvrage sans recherche narcissique exclusive.
Une belle réussite qui met en valeur le génie de Rossini et de son librettiste Sterbini comme rarement !
Toulouse. Théâtre du Capitole, le 18 mars 2011. Gioachino Rossini (1792-1868) : Le Barbier de Séville, Melodramma buffo en deux actes ; Livret de Cesare Sterbini d’après Le Barbier de Séville ou La Précaution inutile de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais ; Créé le 20 février 1816 au Teatro Argentina à Rome ; Mise en scène : Stefano Vizioli ; Décors : Francesco Calcagnini ; Costumes : Anna maria Heinreich ; Lumières : Franco Marri ; Il Conte d’Almaviva : Dmitry Korchak ; Bartolo : Alessandro Corbelli ; Rosina : Maité Beaumont ; Figaro : Giorgio Caoduro ; Don Basilio : Giovanni Furlanetto ; Berta : Jeannette Fischer ; Fiorello : Vittorio Prato ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole, direction : Alfonso Caiani ; Direction musicale : Gianluigi Gelmetti.