Monter l’oeuvre en terre tourangelle revêt un caractère spécial: l’héroïne a réellement existé: elle fut originaire de Tours, osant délivrer son époux des geôles de la Terreur. De son vrai nom, Blanche de Semblançay réussit effectivement à obtenir la liberté pour celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer.
De l’ombre à la lumière

La valeur de la présente production présentée à Tours, vient essentiellement de l’orchestre. Jean-Yves Ossonce, récemment récompensé pour sa superbe résurrection de l’opéra de Séverac, le Coeur du Moulin retrouve des couleurs, de subtiles phrasés, une vision remarquablement dramatique, qui donne à entendre la série de précipités scéniques, de traits fulgurants qui font de Fidelio, une page surtout orchestrale.
Le climat de terreur lié à l’enfermement dans la prison, le caractère diabolique de Pizzaro, figure satanique ivre de vengeance et de haine qui ne peut se déplacer sans une dague à la main (Peter Sidhom pervers à souhait), les épisodes purement instrumentaux (préambule au grand air de Florestan au début du II): tout cela est ajusté avec un soin d’orfèvre qui se bonifie en cours de soirée.
Comme un digne fils des Lumières, Beethoven semble faire son miel des opéras mozartiens, offrant même à La Flûte le prolongement de son idéal humaniste et fraternel quand le Prince (Don Fernando) surgit dans la dernière scène, dissipant toute ombre comme toute menace: les paroles du livret, mais aussi l’exaltation jusqu’à l’ivresse de l’orchestre libérateur trouvent ici un brillante éclairage.
Wilde épatant

A l’opposé, quel aplomb vocal, dramatiquement à l’aise, évident même par sa vérité et sa force expressive que celui du Rocco de Scott Wilde (formé à la Juilliard School de New York): si tous les rôles étaient servis par le même feu nous eussions assisté à une soirée d’exception. Il y a du bon père aimant dans ce personnage de basse chantante, mi Zarastro mi Osmin: on ne cesse de croire à la sincérité de celui qui est prêt à marier sa fille Marzelline (ardente Sabine Revault d’Allonnes) avec Léonore/Fidelio. Sa justesse n’en rend que plus déchirante la scène où le duo qu’il compose avec Léonore, descend dans la cage de Florestan pour y creuser sa tombe… Même engagement vocal pour les choeurs, parfaits de bout en bout.
Ce qui se passe sur scène est loin d’ennuyer: Marion Wassermann qui a déjà travaillé sur l’opéra beethovénien (à Nantes entre autres) restitue le climat d’étouffement et de peur qui pèse sur l’humanité livrée à la barbarie de Pizzaro au I; en transposant l’action en 1940, dans un camp d’extermination, le résultat est visuellement efficace; on reste moins convaincu par son option de faire mourir Léonore au II (poignardée par l’abject Pizzaro)… quitte ensuite, à lui faire chanter tout le final et son duo avec Florestan. La toile peinte qui sert de préambule et de voile conclusif à l’action cite les grandes fresques des Primitifs italiens (Giotto?): des anges pleins de compassion s’y dévoilent en sauveurs des âmes éprouvées. De ce point de vue, l’horreur du sujet éclate sans complaisance et même si le travail des contrastes entre l’ombre et la lumière était bon, le déroulement scénique aurait gagné en impact avec davantage de … lumière. De même pourquoi ajouter la récitation de textes censés souligner cet amour illimité qui porte Léonore vers son mari et vice versa? Leur déclamation retarde l’urgence de la musique. Et de musique, Fidelio en regorge tel un volcan. Jean-Yves Ossonce en fait couler la lave embrasée. Rien que pour son travail avec les musiciens de l’Orchestre Symphonique Région Centre Tours, la production d’octobre 2010 vaut évidemment le déplacement.
Marion Wassermann, mise en scène.
Illustration: Scott Wilde (DR). Photos de la production de Fidelio 2010 à l’Opéra de Tours © F.Berthon